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Les montagnes russes d'Arménie



Avec l'aide des contrôleurs nous sortons Georges du train. Un marché couvert jouxte la gare, nous y faisons tout de suite le plein d'abricots secs, nous sommes au pays de l'abricot, autant en profiter ! On en trouve de toutes tailles, des confits, des secs de tous niveaux de séchage. On a envie de tout goûter.


Nous avons identifié une sympathique auberge de jeunesse bien située , nous quittons l'imposante gare et sa statue de David de Sassouan (héros de la tradition orale arménienne) et nous nous engageons sur les larges boulevards de la capitale. La circulation est fluide et on circule agréablement à vélo, nous traversons la grande place de la République entourée de massifs bâtiments au style d'inspiration soviétique (Tony, si tu nous lis ,-). Nous arrivons sans mal à la guesthouse où nous sommes accueillis par un large sourire. Ils ont de la place pour un seul soir, il y a une cour intérieure fermée parfaite pour laisser le tandem et l'auberge est super clean. Ca nous convient bien et on a même l'opportunité de se prendre une chambre double. Ils ont repris l'auberge en gestion depuis quelques mois seulement et veulent vraiment en faire un lieu agréable, c'est réussi ! Nous discutons un peu et apprenons un peu de vocabulaire arménien... même dire merci n'est pas aisé (« Shnorhakalupsun »... à vos souhaits !). Elle nous parle de la récente « révolution » dont nous avons eu vent par nos parents, les médias français en ayant pas mal parlé.

Les Arméniens sont un peuple assez pacifique, et, si nous avons bien compris, il est écrit dans leur constitution qu'ils peuvent destituer leur président en exprimant leur mécontentement par des manifestations et la désobéissance civile. Durant celles-ci le pays est « bloqué », routes et rues sont fermées à la circulation et tout le monde se rassemble dans la rue de manière pacifique : les manifestants dansent, jouent de la musique, font des barbecues et des pique-niques, font des parties de basketball... on est loin des manifs à la française !

Cette révolution a fonctionné car le président Serge Sarkissian a démissionné et s'est même excusé. Au bout de sa période maximale de mandat, il s'est debrouille pour devenir 1er ministre au pouvoir renforcé.. ça nous rappelle un certain Poutine. C'est son jeune opposant Nikol Pachinian qui lui succède, il marque un tournant pour la politique arménienne verrouillée depuis 20 ans.

Nous profitons de notre journée à Erevan pour nous rendre à l'incontournable musée du génocide arménien et son mémorial. A vol d'oiseau c'est assez proche de notre auberge mais nous sommes séparés par une gorge qui oblige un long détour. Nous marchons sur la route lorsqu'une voiture s'arrête, deux jeunes nous disent de monter sans même nous demander où nous allons, et ils ne parlent pas anglais ! Nous leur faisons comprendre que nous voulons aller au musée, ils nous y amènent. En Arménie, le stop fonctionne très bien et il est habituel de prendre les gens marchants en bord de route même si ceux-ci ne manifestent pas leur besoin d'être véhiculés.

Nous en apprenons plus sur ce génocide dont nous parlons finalement assez peu dans les manuels scolaires, très probablement pour ne pas nous fâcher avec la Turquie, bien que le génocide soit reconnu par le gouvernement français.

L'occupation de l'Anatolie par les Arméniens est antérieure à l'ère chrétienne. Le royaume d'Arménie s'est étendu de la Cappadoce au Caucase, ceci bien avant l'arrivée des tribus Turques Seljoukides au XIe siècle (nomades islamisés provenant des steppes d'Asie centrale) qui se sont sédentarisés sur la région aujourd'hui nommée Turquie. Au XIXe, suite aux guerres turco-russe et turco-perse, l'Arménie historique est divisée entre deux pouvoirs : l'Empire russe pour la partie est (actuelle Arménie) et l'Empire Ottoman pour la partie ouest. En 1882, 2.6 M d'Arméniens vivent dans l'Empire Ottoman dont 1.6M en Arménie de l'Ouest. Sous l'Empire Ottoman, théocratie musulmane, les minorités non-musulmanes ont le statut d'infidèles tolérés et leurs droits (déjà bien faibles) étaient loin d'être respectés par la majorité turque musulmane (par ailleurs, ils n'avaient pas le droit de témoigner contre des musulmans dans un tribunal, pas le droit de porter des vêtements fins, pas le droit de monter à cheval, leurs maisons devaient être plus petites que celles des turcs...).

Cependant le niveau d'avancement économique et social des arméniens, minorité chrétienne, et leur part dans l'économie ottomane, notamment du fait du commerce avec l'occident, ne reflétait pas le statut de citoyen de second-rang qui était le leur. Au début du XXe siècle, ils composent la haute société de l'Empire Ottoman, ils sont très éduqués, aisés et occupent les corps de métiers à haut niveau de qualification tels que la médecine, la finance... la délégation turque des Jeux Olympique de Stockholm de 1912 était même exclusivement composés d'arméniens (il faut dire qu'ils n'étaient que deux).

Dès le XIXe, l'Empire Ottoman est en plein déclin et est surnommé « l'homme malade de l'Europe », il perdra successivement la Roumanie, la Serbie, le Monténégro, la Bulgarie, la Crête, la Bosnie-Herzegovine, l'Albanie. Il abandonnera ses territoires d'Afrique du Nord (région de Tripoli) à l'Italie puis finira par perdre tous ses territoires d'Europe Occidentale sauf la région d'Istanbul (à l'époque Constantinople). La peur de perdre de nouveaux territoires crée une certaine anxiété dans l'élite turque et la volonté des Arméniens de conserver leur langue et leur culture est vue comme une menace, notamment du point de vue de l'idéologie pan-islamique ou pan-turque qui voit l'Arménie comme un obstacle au contact direct entre les musulmans de Turquie et ceux d'Asie Centrale. Tout ceci va favoriser la recherche d’ennemis internes... terreau idéal à l'émergence d'idées extrémistes.

Les premiers massacres d'Arméniens par des Turcs ou des Kurdes ont eu lieu à la fin du XIXe, mais la Première Guerre Mondiale permettra aux « Jeunes Turcs », mouvement politique ayant pris le pouvoir à la chute de l'Empire Ottoman, de mettre en place leur stratégie pour régler « la question arménienne ». Les Jeunes Turcs commencent par éliminer ou emprisonner les militaires, intellectuels, personnages influents de la communauté arménienne afin de neutraliser toute possibilité de mobilisation de la population. S'en suivra la déportation des arméniens vers les régions désertiques de Syrie et d'Irak où les attendent de véritables camps de concentration... L'Allemagne nazie n'a rien inventé. Il se pourrait d'ailleurs que des Allemands, membres de l'état major ottoman (l'Allemagne étant alliée à l'Empire Ottoman lors de la Grande Guerre), aient emporté quelques idées chez eux et aient favorisé la prise de pouvoir de Hitler....

A l'instar des chinois au Tibet, les turcs ont cherché à détruire toute trace de la présence arménienne sur le territoire turc : destruction des églises ou transformation en mosquée, monastères rasés... L'ancienne capitale des royaumes d'Arménie, Ani, située sur le territoire turc n'est plus qu'un tas de ruines. Ce musée présentant forcément une vision subjective de cet événement, certains points sont à prendre avec un peu de recul mais il reste néanmoins important de connaître les atrocités qui ont eu lieu à l'encontre de ce peuple.

Sous le choc de la cruauté dont peut faire preuve l'espèce humaine, nous quittons le musée après un tour au célèbre mémorial où une flamme brule en permanence et autour duquel des sapins ont été plantés par les diverses instances ou personnalités reconnaissant le génocide. L'un d'eux a été planté par François Hollande sous son quinquennat. Nous nous baladons dans la ville moderne sur le retour vers notre hébergement du jour, Yerevan est une jolie ville bien développée où s'allient architecture soviétique, petits cafés et commerces, comme dans toutes capitales européennes.

Le choix de notre itinéraire pour traverser le pays est compliqué. Nous aimerions aller voir l'immense lac Sevan, perle du pays nichée à près de 2000m d'altitude, mais la météo est vraiment très incertaine. En gros : risques d'orage et de pluie tous les jours, encourageant !

Cependant, ce matin il fait très beau et nous profitons du calme de l'auberge pour faire un peu de maintenance sur Georges avant le challenge des montagnes arméniennes : changement de la chaîne arrière du tandem, nettoyage, réglages... Puis nous retournons nous balader pour voir le monument nommé « Cascade ». Une exposition en plein air de sculptures, notamment de Botero, décore le jardin au pied de l'immense structure en escalier qu'est « Cascade ». Les fontaines sont éteintes, dommage, nous ne verrons pas la cascade... En haut de la colline une immense terrasse en béton gris est en travaux, construction démarrée par les soviétiques et jamais terminée, sa finalité est d'avoir une vue imprenable sur la ville et le Mont Ararat situé à environ 60km. L'horizon est chargé, nous ne verrons pas les neiges de la montagne biblique (cf l'histoire de l'arche de Noé), pas de chance. Cet « échec » nous permet de trancher nos possibilités d'itinéraire : nous partirons de Erevan par le sud à travers la seule véritable plaine du pays, sa partie la plus peuplée, pour rejoindre le monastère de Khor Virap où nous espérons apercevoir le Mont Ararat, si proche et pourtant de l'autre côté de la frontière turque.

Après un petit café en terrasse, moment typique où nous nous sentons des touristes normaux, et quelques problèmes de réglages du vélo dus au changement de chaîne, nous quittons enfin Erevan en milieu d'après-midi. Le beau temps de la matinée a laissé place à un ciel chargé et l'averse menace. Nous empruntons de grands axes mais ça descend et notre vitesse nous permet de nous sentir à l'aise dans le flot de véhicules. La vallée qui s'étend au sud de Erevan est très peuplée et urbanisée, nous traversons une agglomération quasi continue. La pluie s'en mêle ainsi que le vent créé par l'orage, ce qui nous oblige à faire des pauses à l'abri par intermittence. Nous imaginons trouver peut-être une bonne âme qui nous proposera de nous héberger mais nos rencontres éphémères sont infructueuses. On s'arrête devant un magasin et le jeune tenancier finira par nous demander de faire une photo avec lui et un drapeau arménien. Finalement la pluie s'arrête et nous arrivons au monastère après l'averse. Notre route qui était jusque là parallèle à l'autoroute, nous y amène désormais mais il est impossible de traverser sans passer le terre-plein central, tant pis on y va, il y a peu de circulation.

La vue depuis le monastère n'est pas à la hauteur de nos espérances car tout est bouché, nous distinguons tout de même le Petit Ararat (3900m) mais pas son imposant grand frère. Un couple de russes parcourant l'Arménie en VTT sont aussi là, nous convenons de bivouaquer ensemble autour du monastère. Quelques minutes plupart ce sont 3 autres russes en VTT qui arrivent aussi, décidément c'est un véritable lieu de rendez-vous ! Deux arméniens traînant autour du site nous empêche de camper là sans leur payer 5 euros par tente, clairement ils essayent de nous arnaquer car le site n'est pas du tout à eux. Ils avaient été plutôt sympas avec nous avant l'arrivée des russes et nous avons l'impression qu'ils nous auraient rien demandé si nous avions été seuls... auraient-ils un problème avec les russes ?

La nuit tombe, nous n'avons pas de temps à perdre donc nous laissons tomber le bivouac à plusieurs, le couple a rencontré des gens dans le village précédent et parlant russe, il leur est assez simple de trouver un toit. De notre côté, nous continuons la route sur quelques kilomètres avant de nous jeter dans un verger à l'abri des regards. Nous plantons la tente de nuit mais nous ne nous en sortons pas trop mal pour ce bivouac de fortune. Un peu plus tard nous entendons le muezzin... nous sommes à peine à 200m de la frontière turque et la mosquée la plus proche est à portée d'oreille.


Au réveil, nous apercevons enfin les neiges sommitales du Mont Ararat ! Nous longeons la frontière et les vignes arméniennes sur quelques kilomètres avant de tourner le dos à cette belle montagne et nous diriger vers l'Est et les montagnes arméniennes. La météo est assez clémente et nous remercions le ciel de nous laisser un peu de répit, nous devons passer le 1er col d'une longue série qui nous mènera jusqu'en Iran, nous sommes à 800m et devons monter à 2000m. A Vedi, dernière ville avant d'attaquer l'ascension, nous trouvons de quoi grignoter et boire un café, non sans mal car dans ces petites villes arméniennes il n'y a pas de réels cafés comme nous l'entendons, au mieux des sortes de snacks faisant aussi du café "turque".


La route est bonne, calme et fleurie. Nous grimpons agréablement jusqu'au 1er village Shagap. Nous nous arrêtons prendre une photo d'une maison typique et en nous retournant une dame nous salue et nous dit de venir boire un café : « Avec plaisir ! ». Nous entrons dans le « garage » de la maison qui occupe tout le rez-de-chaussée, toute la famille est là : la dame, son fils (la quarantaine), sa femme qui parle quelques mots d'anglais, et la grand mère. On nous offre le café puis le déjeuner : omelette, pâtes et pain maison... c'est la mi-journée et cette invitation inattendue tombe à pic. Nous passons un agréable moment avec cette famille, leurs 3 jeunes enfants arrivent de l'école un peu plus tard, le petit garçon s'appelle d'ailleurs Alexandre. Nous les abandonnons pour continuer notre route vers le col, le ciel s'est chargé, pourvu qu'on échappe à la pluie jusqu'en haut. La route est toujours aussi belle, une voiture nous double puis s'arrête, ce sont des iraniens, ils nous hèlent pour nous offrir quelques biscuits et repartent... premier contact avec cette chaleureuse population et leur générosité telle que décrite par les cyclistes parcourant cette région du monde.


Au dernier hameau avant le col, on commence à prendre des gouttes de plus en plus grosses, je repère un garage couvert devant une maison avec un gros chien devant, la dame nous voit et je lui fais signe de se mettre à l'abri, elle a l'air de dire "oui" donc nous nous jetons sous le toit sans hésitation, le chien braille mais heureusement il est attaché. Elle revient avec son mari, un bon papy du cru, qui nous fait comprendre de ne pas rester là mais de le suivre dans la maison ! Nous voilà partis pour le goûter : ils ramènent du fromage maison et du pain. Le papy saute sur l'occasion de notre présence pour pouvoir boire un canon ! Je me retrouve donc à boire des shooters de Jack Daniels ! Je préfère ça à la vodka donc ça va, je dois tout de même lui faire comprendre qu'avec le vélo ça ne fait pas bon ménage. En tout cas, l'accueil est chaleureux, nous rigolons tous ensemble malgré une communication mélangeant russe, arménien, français et signes... nous arrivons à nous comprendre, c'est l'essentiel. Le soleil revient, nous voulons profiter de l'éclaircie pour avancer, ils tentent de nous retenir et nous proposent de rester dormir, il est encore tôt et le temps est si instable que nous préférons saisir toute occasion d'avancer.

C'est donc éméché (pour ma part) et avec un gros bout de fromage en cadeau que nous reprenons la route, ravis d'avoir passer ce moment avec eux et d'avoir égayé leur journée. Le col est proche et nous le passons sans problème avant de redescendre un peu pour rejoindre la M2, route principale reliant Yerevan à Meghri au sud du pays.

Nous nous trouvons un champ assez plat pour notre bivouac en contrebas de la route. Juste le temps de monter la tente et de se doucher qu'il commence à pleuvoir. Nous nous réfugions en urgence sous la tente et c'est un violent orage que nous essuyons : rafales, fortes averses, éclairs à quelques centaines de mètres de la tente, heureusement que nous avons confiance dans sa solidité ! La tempête sera brève mais intense et nous aura tout de même un peu inquiétés, arrachant quelques larmes post-stress à Clarisse une fois l'accalmie arrivée. La nuit sera ensuite calme et sans pluie, le ciel s'étant vidé de toute son eau.

La route doit nous mener ensuite à Areni, connue pour sa vigne. Nous commençons la journée par une petite côte plutôt raide. En bordure de route se trouvent des marchands de pommes et de miel, l'un d'eux nous arrête, et nous fait goûter ses produits. Nous décidons d'acheter quelques pommes, il nous les offrira de bon cœur, nous repartons flattés par cette générosité dont nous bénéficions depuis le début du voyage mais si présente en Arménie. Superbe descente vers Areni où nous faisons un stop café/wifi à la « winery ». Nous étendons la tente pour profiter du soleil pour la sécher : ne jamais rater une occasion de sécher ses affaires avec une météo aussi incertaine ! Un homme nous interpelle, c'est Mathieu, un français de Chambéry, il a vu le tandem en passant en voiture et étant lui-même rompu au cyclotourisme il s'est dit qu'on pouvait avoir besoin de quelque chose. Mathieu est enseignant et il est en Arménie pour un séminaire organisé par l'union européenne avec des enseignants de divers pays, il en a profité pour prendre quelques jours de vacances. Nous acceptons avec plaisir son invitation à nous amener en voiture visiter le monastère de Noravank. La route qui y mène monte sérieusement et nous sommes heureux d'être motorisés.


De retour à Areni, notre ami du jour nous quitte en nous laissant une boîte de rillettes et un paquet de Prince, le cadeau qui fait plaisir ! Nous continuons notre journée touristique en visitant la cave d'Areni suivi d'une dégustation du vin local. La vigne est exploitée ici depuis plusieurs centaines d'années, mais nous trouvons leur vin un peu acide et ne sommes pas assez convaincus pour en acheter une bouteille, dommage. En sortant du bâtiment nous levons les yeux pour voir que le ciel est noir à l'ouest d'où nous arrivons. Nous enfourchons Georges vers l'est pour fuir l'orage. Il nous suivra tout l'après-midi, nous obligeant à refuser quelques invitations en bord de route (pour ne pas se retrouver à prendre une saucée sans abri) et fort heureusement la pluie ne nous rattrapera que tardivement. Il pleut donc tous les jours en ce moment, nous sommes en pleines giboulées, nous qui espérions les avoir laissées dans les Balkans ! J'imagine que l'air méditerranéen chargé d'humidité chauffe au-dessus du sud-est de la Turquie avant de monter en altitude du fait du Mont Ararat et du sud Caucase : une véritable usine à orages.

Après Vayk nous trouvons tant bien que mal un champ pour nous installer, nous sommes assez proches de la route malheureusement et nous entendons donc les nombreux camions la parcourant. Point positif : une cabane de fortune nous permet de mettre Georges à l'abri pour une fois...

Au matin l'envie d'un café et le besoin de faire quelques provisions nous obligent à rebrousser chemin jusqu'à Vayk. Nous trouvons une cafeteria moderne accolée au supermarché et nous y passons un long moment, lorsque nous repartons la route est trempée, nous avons évité la pluie sans le vouloir, enfin pour le moment. Il se remet à pleuvoir un peu plus loin et nous nous mettons à l'abri d'une maison abandonnée en bord de route. Nous passons la tête de l'autre côté de la maison et découvrons un couple d'auto-stoppeurs allemands qui font du bénévolat en Arménie. Le jeune homme travaille dans une réserve pour animaux sauvages et nous a doublé en 4x4 l'avant-veille. Nous nous en rappelons bien car nous avons pesté lorsqu'ils nous ont doublé en nous filmant... avant de nous raviser en voyant le logo de leur organisme de protection des animaux.

Pour sortir un peu du trafic de la M2, nous choisissons de faire un détour par la vallée menant à Jermuk. A peine engagés la route, une colonne de camions nous doublent, non mais sérieusement ?! Pour changer la météo est tout sauf stable et la pluie menace, la route monte en altitude en suivant une gorge et nous arrivons au village de Gndevaz. Nous faisons halte devant un algecco estampillé « mini-market », après quelques minutes la porte s'ouvre et le tenancier de la boutique nous appelle pour nous offrir le café... qui se transforme en shot de gnôle pour changer et que je goutte volontiers. Les arméniens ont un signe particulier pour dire « on s'en jette un petit » : ils se mettent une pichenette sur le côté de la gorge. Nous passons un long moment avec Artak, dans sa boutique où on peut acheter bonbons, vodka et soda, à attendre que la météo s'améliore. Nous lui faisons comprendre que nous voulions aller à Jermuk, peut-être en stop pour visiter la ville et revenir, il nous propose de nous faire faire la visite puis de nous ramener ici, sa femme tiendra la boutique en attendant.


Artak est policier-garde-barrière au barrage de Jermuk, chose que nous n'arrivions pas à comprendre jusque là. Il nous y amène donc pour voir ses collègues (ou nous faire voir). Ils nous offre le café arménien chauffé sur une sorte de tabouret en métal auquel ils connectent 2 fils électriques...

Les canalisations du barrage communiquent avec le lac Sevan, à 30km de là. Une évacuation en forme de fleur a été construite dans ce lac artificiel, lorsque l'eau est assez haute elle coule à l'intérieur, sur les photos ça paraît assez joli mais la plate-forme d'observation est en piteuse état et fermée. Heureusement, nous sommes avec les maîtres des lieux donc ils nous y amènent. Le trou fait 15m et on n'en voit pas le fond... un endroit parfait pour faire disparaître quelqu'un, ça me rappelle la scène où Jabba le Hutt balance Luke Skywalker dans ce trou dans le désert (pour les adeptes de Star Wars). Artak nous emmène ensuite aux sources thermales de la ville, des robinets avec différentes températures sortent du mur et elles ont différentes vertues. La ville est un site touristique et de très (trop) nombreux hôtels ont été construits, certains sont abandonnés depuis. Il y a même un aéroport (enfin une piste d'atterrissage plane et herbeuse). Nous allons ensuite voir la cascade, autre attraction de la ville. Hormis l'hôtellerie, le 2e gros employeur de Jermuk est l'usine d'embouteillage d'eau de source du même nom, Artak y fait le plein pour sa boutique. Avant de repartir, notre chauffeur improvisé s'arrête faire le plein, de la voiture cette fois, il nous demande de descendre car "c'est dangereux", ça nous surprend. Puis nous comprenons enfin pourquoi leurs stations-service ont de grands murs pour isoler chaque « pompe » et pourquoi son aiguille de niveau d'essence est à 0 depuis le départ : leurs voitures roulent au gaz ! La plupart sont trafiquées et ont une grosse bouteille de gaz dans le coffre, comme la voiture d'Artak, d'où le côté dangereux de la mise sous pression. Le gaz coûte bien moins cher que l'essence par ici. La bouteille remplie nous redescendons à Gnedaz et retrouvons le mini-market. La pluie se remet à tomber et nous voilà repartis pour le thé/café, cette fois sans gnôle.

Le ciel s' éclaircit enfin franchement en fin d'après-midi. Il nous reste encore 2 ou 3h avant la nuit et nous voulons nous rapprocher de la route principale, une petite route en gravel y mène mais elle monte pas mal. Nous l'empruntons et commençons une rude ascension. Nous croisons de nombreux vans remplis de gens, puis un pick-up s'arrête. Un homme (dont nous avons perdu le nom) parlant un anglais impeccable en sort et nous aborde, il est Néo-Zélandais et vit en Australie, il est ici pour superviser les forages de la mine d'or située en haut de la route... d'où la colonne de camions de la veille et les vans bondés : ce sont des ouvriers. Le sol Arménien est riche en minerais et il est exploité notamment par les Russes et les Américains. Nous poursuivons et arrivons en vue de la mine et des bâtiments électriques construits pour l'occasion. Nous qui pensions nous écarter de la route pour voir la nature... Le va-et-vient des camions a défoncé la route et les averses ont transformé la partie haute en boue, nous nous embourbons et traversons tant bien que mal les 200m qui nous séparent du col. Nous nettoyons les roues de Georges et Bob de la boue les empêchant de tourner et pouvons enfin repartir nous trouver un spot de bivouac. La route redescend et nous nous sentons enfin dans la nature... jusqu'à ce que nous apercevions une voiture garée ! Ce sont des vigiles de la mine d'or. Nous discutons avec le jeune vigile qui parle anglais, il nous demande où nous allons dormir : « somewhere a bit further down the road », « you are not afraid of animals !? », habituelle question du citadin que nous sommes devenus, la nature nous fait peur. Personnellement, les animaux nous inquiètent moins que les hommes, donc nous continuons pour trouver une beau champ herbeux en lisière de forêt. Par mesure de précaution nous accrochons tout de même notre nourriture et nos déchets en hauteur dans des arbres éloignés de la tente... sait-on jamais s'il y a des ours mais vu comment la montagne est retournée par la mine d'or, nous en doutons. Pour changer il pleut durant la nuit.

Retour à la M2 en ce 10 mai, nous devons encore monter pour rejoindre le col qui culmine à 2300m (nous étions redescendu à 1100m, "bienvenue au pays des montagnes russes !"). Les épingles sont, comme d'habitude, raides et nous arrivons au col déjà fatigués. Une sorte de porte soviétique construite de part et d'autre de la route marque le col, et un homme y vend des fruits secs. Nous nous reposons quelques minutes avant que ne commencent à tomber quelques gouttes. L'homme, qui ressemble étrangement à Louis de Funès, nous fait signe de nous abriter dans sa voiture. Un jeune homme arrive et monte à l'arrière. C'est son fils Ararat. Il allume une cigarette ce qui provoque la fuite de Clarisse qui préfère largement la pluie froide à la fumée froide.


Lorsque la pluie s'arrête nous repartons pour une courte descente sur ce haut plateau Arménien après avoir acheté quelques fruits à nos amis du col, en particulier d'excellentes pèches confites. Le plateau borde un lac artificiel (Réservoir de Spandaryan) comme il y en a tant d'autres en Arménie. La route n'est malheureusement pas du tout plate et nous peinons avec le vent de face dans des coups de culs à 10%. Le ciel est hyper menaçant tout autour de nous et il se fait l'heure de la pause. Nous optons pour un pique-nique à l'abri et nous trouvons une station-service hors-service en face d'un mini-market dans un bled nommé Sarnakunk. Un camion se stationne moteur allumé (habituel dans ces contrées), le chauffeur en sort puis part dans le village. Nous restons estomaqués, il ne va pas laisser son camion comme ça tout de même ! Clarisse pense même aller couper le contact... Et bien si, il revient 20 min plus tard. Déjà que l'endroit n'est pas glamour mais avec le bruit du camion c'est carrément l'enfer mais nous n'avons pas vraiment d'autres options et nous avons du Nutella pour nous consoler. Oui, nous avons craqué et nous en sommes rendus à acheter la célèbre pâte à tartine de Ferrero pour nous donner du courage... de toute façon, ici, elles sont toutes à base d'huile de palme alors tant qu'à faire autant en acheter une de bonne ! Nous avons fini de manger, le ciel n'est plus simplement menaçant mais carrément noir, il fini par se vider et nous essuyons une belle averse de grêle accompagnée de son concert sons et lumières... nous sommes contents d'être restés à l'abri ! J'en profite pour retendre les chaînes du tandem, ce qui est assez simple avec les excentriques installés par Vagabonde (pièce avec un trou excentré qui contient le boîtier de pédalier et que l'on peut pivoter pour tendre la chaîne). Un deuxième orage de grêle éclate juste au moment où nous sommes prêts à repartir, nous attendrons encore un peu. Cette fois l'éclaircie semble durable, nous pouvons enfin y aller. Un peu plus loin nous voyons que la route monte encore en ligne droite sur plusieurs kilomètres, nous n'avons pas la motivation de monter encore. Nous bifurquons direction Shaki pour voir sa jolie cascade avec l'idée de dormir à l'hôtel à Sisian. Nous avons envie d'être au sec pour une fois. Nous trouvons un hôtel devant lequel nous rencontrons un couple d'allemands à vélo qui vont dans le sens inverse : de l'Iran jusqu'en Allemagne. Nous ne trouvons pas d'endroit nous donnant envie de manger dehors, du coup nous cuisinons au réchaud dans l'immense salle de bain (nous profitons d'être toujours au gaz car ça ne sera plus possible avec de l'essence).

Nous repartons de Sisian au matin pour retrouver la route après avoir visité le site mégalithique de Zorats Kareer. C'est reparti pour la grimpette jusqu'à arriver à 2200m, à un col à peine marqué ce qui ne nous permet même pas d'avoir la satisfaction d'être au sommet. Mais nous ne sommes pas fâchés de quitter ce plateau tout sauf plat. Nous approchons du monastère de Tatev qui fait parti des « must-see » de l'Arménie. Tatev est situé à quelques kilomètres de Halidzor, tous deux situés autour de 1500m, sauf qu'entre les 2 il y a une profonde gorge qui oblige à redescendre à 1000m. Il y a aussi un téléphérique à Halidzor qui mène directement à Tatev, seulement nous ne sommes pas sûr de pouvoir le prendre avec le tandem.

Vu que nous sommes d'humeur aventurière (ou pas) nous avons la bonne idée de prendre un «raccourci » par le village de Hardjis pour nous rapprocher de la gorge. Une petite route sur notre carte semble mener tout droit à au téléphérique. Nous descendons sur 5km une route parsemée de gros tas de terre qui sont en fait utilisés pour reboucher les nids de poules... Nous le comprenons en voyant un homme seul s'affairant à la tâche avec sa pelle, et bien il n'a pas fini ! Arrivés au village nous tombons sur une journaliste et son cameraman, ne parlant ni l'un ni l'autre anglais. Mais nous comprenons qu'ils font un reportage sur les routes et elle décide de nous interviewer sur notre opinion des routes arméniennes avec questions en russe et réponses en anglais ! Drôle de moment. Comme tout bon village arménien, ce bled possède plusieurs mini-market, on nous hèle dans le 1er , nous espérons nous faire offrir le café mais non nous tombons surtout sur le club des poivrots du coin qui nous braille dessus pour je ne sais qu'elle raison relative à notre nationalité. Perdu. Nous lançons le sujet d'actualité du changement de président, comme à l'habitude tout le monde s'accorde: Serge bad, Nikol good. Au moins un président qui fait l'unanimité!

Nous allons un peu plus loin pour casser la croûte, des enfants s'assoient à distance pour nous observer, nous sommes vraiment des extraterrestres dans ce village ignoré des touristes. Une nouvel fois le ciel menace, ça sent la pluie à plein nez. Nous poursuivons notre traverser du village et cette fois on nous invite pour le café, on accepte volontiers ! Le tandem est mis à l'abri dans la cours et on nous accompagne dans la maison pour partager le thé avec différentes personnes de tout âge. Nos hôtes sont allés chercher une jeune voisine parlant anglais qui fait office de traductrice. Shushan et sa mère nous convient chez elles, la pluie se décide à tomber, nous avons donc le temps et nous les suivons de l'autre côté de la rue. La famille habite dans une belle maison qui paraît bien soignée par rapport aux autres habitations du village, le père tient un mini-market juste à côté. Shushan a 14 ans et est la benjamine d'une fratrie de quatre, une sœur plus âgée et deux petits frères d'à peine 3 et 5 ans. Elle parle vraiment très bien anglais car elle prend des cours particuliers à Goris, la ville la plus proche. Elle y apprend aussi le russe et à l'école c'est le français. Nous comprenons que les arméniens apprennent 3 alphabets : arménien, cyrillique et latin. La pluie redouble d'intensité donc nous passons quelques heures dans cette famille à discuter en anglais, nous apprenons qu'il est difficile pour les arméniens d'obtenir un visa pour l'espace Schengen, alors que nous n'avons même pas besoin de visa pour l'Arménie... ça nous paraît assez injuste. Nous sommes assez étonnés par cette famille qui à priori gagne très peu et pourtant payent des cours particulier de langues à leurs filles, ont une si jolie maison et on fait des voyages en Europe il y a quelques années. Quoiqu'il en soit, ils s'occupent vraiment bien de nous en cette après-midi pluvieuse, l'hospitalité arménienne n'est pas une légende. J'ai du coup l'occasion de goutter le brandy arménien de la marque « Ararat ».



Lorsque nous repartons une fois le ciel un peu plus clair, tous paraissent assez dubitatifs de notre envie d'emprunter la route menant directement à Halidzor, nous n'arrivons pas à comprendre clairement l'état de la route, en tout cas personne ne nous empêche d'y aller. Nous nous engageons sur ce chemin pavé avec le brouillard qui commence à descendre, loupé pour voir la gorge. Aussi nous comprenons vite que ce n'est pas une route mais un chemin plus ou moins carrossable à travers champs, il ne fait « que » 7km et nous naviguons avec le GPS donc ne sommes pas très inquiets. Les pavés disparaissent et nous voilà à pousser notre attirail dans la boue... Nous mettrons 2h à sortir de cet enfer vert et boueux, poussant en alternance d'un côte où de l'autre du chemin pour rester au maximum dans l'herbe et enlevant régulièrement la boue accumulée sous les gardes boues. Nos ne sommes pas du tout équipés pour le tout-terrain boueux ! Nous retrouvons le bitume juste avant la tombée de la nuit, Georges et Bob sont très sales et nous sommes trempés et exténués, qui a eu la bonne idée de prendre cette route ? Même nos pieds pataugent dans nos chaussures ce que nous avions réussi à éviter jusque là malgré les jours de pluie.

Nous sommes au bout du rouleau.

Nous atteignons enfin Halidzor et passons le téléphérique « Wings of Tatev ». Alors que nous sommes proches d'entamer la descente pour rejoindre le fond de la Gorge et les sources chaudes naturelles du Pont du Diable, un doute nous arrête : est-ce bien raisonnable vu la galère du jour ? Je me rappelle d'avoir lu sur un blog que la route n'est pas bitumée après Tatev, peut-être même ne l'est-elle pas du tout dès le Pont du Diable. Nous faisons demi-tour pour planter la tente proche du téléphérique, la nuit porte conseil et nous pourrons aviser le lendemain si nous l'empruntons ou non. Nous revenons juste au moment où l'employé de sécurité a fermé la barrière, nous le rappelons et lui demandons si nous pouvons planter la tente. Il appelle son chef, c'est ok, il nous ouvre la barrière. Il nous confirmera par ailleurs que le goudron s'arrête en bas de la descente. Bon choix que d'avoir fait demi-tour. Nous plantons la tente dans l'herbe mouillée, assez loin de la route pour ne pas être visibles mais de toute façon avec ce brouillard et vu l'heure peu de chance de faire de mauvaises rencontres dans ce coin peu habité.

Au réveil, c'est toujours aussi bouché mais il ne pleut plus, le gardien m'avait indiqué un tuyau la veille, j'en profite pour laver le tandem et la remorque à grande eau. Le téléphérique n'ouvre qu'à 9h et avant l'arrivée des touristes nous avons rangés et sommes prêts à partir. On aperçoit à peine la gorge et pas du tout Tatev, les raides montagnes couvertes de végétation dense et le brouillard me rappelle les cirques réunionnais.


Nous abandonnons donc d'aller au monast Tatev car sans la vue inutile de payer le téléphérique pour en chier sur 40km de route en terre. Demi-tour direction Goris pour récupérer la M2. Nous traversons des villages ignorés des touristes où les hommes zonent devant les trop nombreux mini-markets et apercevons un aéroport abandonné. Nous évitons Goris par par une petite route qui est peu empruntée et en assez bon état puis nous faisons une nouvelle fois le choix idiot du raccourci inutile qui nous fait encore passer dans la boue, on comprend vite mais il faut nous expliquer longtemps. Nous retrouvons tant bien que mal la route en même temps que la 1ère véritable éclaircie depuis plusieurs jours. Nous nous élançons tambours battants sur ce bitume lisse et si agréable ! Le paysage est superbe, la route longe un petit canyon, au delà duquel on aperçoit des habitations troglodytes nous rappelant la Cappadoce. Au détour d'un virage, nous réalisons qu'il fait vraiment très beau, ce serait idiot de laisser passer ce trop rare créneau qui nous permet de sécher nos affaires. Nous nous jetons donc dans le premier terrain herbeux en bord de route, nous avons vu sur une petite vallée au bout de laquelle on rejoint l'Azerbaïdjan. Nous étalons toutes nos affaires et en profitons pour cuisiner notre déjeuner au réchaud car nous n'avons rien pu acheter. Grande première que de cuisiner pour la pause du midi mais au moins on mange copieusement, ce qui n'est pas une mauvaise idée vu le dénivelé à gravir pour la suite de la journée : nous sommes de nouveau à 800m et devons remonter à 1700. Repus et secs nous repartons et observons du coin de l'oeil les gros nuages noirs qui s'amoncellent déjà... ça pue l'orage pour la fin de journée, la grande question est toujours de savoir quand il va nous tomber dessus.



Après un café à Vorotan pour se motiver, nous commençons à monter. Nous croisons de très nombreux semi-remorques iraniens et arméniens, tous plus défoncés les uns que les autres. La plupart sont des camions de marque Kamaz au style très soviétique. Nous gravissons les premiers 400m par une série d'épingles, la vue d'en haut est superbe et on aperçoit le plateau où nous étions quelques heures plus tôt. Nous longeons désormais la frontière avec l'Azerbaïdjan mais rien ne la signale. La route nous offre quelques belles vues sur la partie ouest de ce pays dont une partie est occupée par l'armée arménienne. La république auto-proclamée du Haut-Karabagh, peuplée d'arméniens en territoire azéri, se trouve à proximité. Malgré une déclaration d'indépendance en 1991, elle n'est à ce jour reconnue par aucun état de l'ONU.

Au moment où pour nous la pause s'impose, nous passons devant une gargotte de bord de route où des chauffeurs de camions attablés nous appellent : « çay, café », ni une ni deux nous acceptons leur invitation. Nous demandons s'il y a un mini-market pas loin et nous voilà en train de partager le casse-croûte d'un vieux routier moustachu en pantoufle (véridique !!) et entouré d'une joyeuse équipe qui compte plus de dents en or que de dents en bon état. Ils nous régalent et ne nous laissent rien refuser. Une pause café ne serait pas complète sans le petit coup de gnôle, le vieux sort une petite bouteille en plastique et paye sa (ou plutôt ses) tournée. Deux personnes font tourner la boutique : l'un fait le thé ou le café aux chauffeurs s'arrêtant, l'autre est là pour réparer ou regonfler les pneus, je le vois de loin ressouder une jante. Nous discutons longtemps à base de russe et d'arménien mélangé à quelques mots de français avec « Johan » qui nous fait franchement penser à un certain Johan du Shabrakistan (pays mythique peuplé d'irréductibles snowboardeurs). Nous expliquons que nous allons ensuite en Iran, nous comprenons qu'il a vraiment une dent (en or forcément) contre les musulmans, rancoeur tenace dans le cœur de certains arméniens. Nous modérons ses propos en lui disant qu'il y a des gens bien partout ce à quoi il concède. Il reste cependant adepte de la théorie du complot et nous dit de nous méfier de l'avancée de l'Islam en France genre "vous verrez dans 10 ans la France sera musulmane". On reste très surpris qu'il ait un avis sur la question mais il se fait très bien comprendre. Il veut vraiment que nous restions dormir mais nous préférons passer le col ce soir. Nous repartons donc, une nouvelle fois le cœur, l'estomac et le foie bien remplis.


Nous arrivons enfin au col qui nous donne une nouvelle fois un beau panorama sur les montagnes vertes d'Arménie. Il y a vraiment beaucoup d'eau dans ce pays, on comprend pourquoi l'homme s'y est installé. Une voiture iranienne venant du sud s'arrête au col, une famille en sort. Ils viennent de Tabriz et vont à Yerevan, nous discutons en anglais avec eux, nous pensons être à Tabriz avant leur retour, dommage ils nous auraient invité avec plaisir. Nous repartons reboostés par cette chaleureuse rencontre inattendue, la route descend quelques kilomètres avant le dernier coup de cul nous séparant de Kapan. Nous trouvons un coin de bivouac facilement après avoir fait le plein d'eau. La pluie s'est fait attendre et nous a permis de passer notre col mais la voilà qui s'invite finalement juste après avoir installé la tente. Mouillés pour mouillés nous nous lavons avec nos poches à eau sous la pluie.

Encore un réveil avec la tente trempée, mais le soleil est là ce matin et nous en profitons pour sécher tout ça... préoccupation quotidienne depuis une dizaine de jours désormais. La route est peu parcourue et nous en sommes heureux, nous commençons vraiment à être irrités par les coups de klaxons des véhicules qui nous saluent en nous croisant ou en nous doublant. En général, les arméniens klaxonnent pile au moment où ils sont à côté de nous, geste inutile si ce n'est pour nous faire peur ou nous casser les oreilles. La palme revenant aux Ladas et à leur klaxon strident.

La longue descente vers Kapan est agréable et nous profitons de ce répit pour nos jambes fatiguées. Désormais il ne nous reste qu'un seul col à franchir avant l'Iran, mais pas des moindre puisque nous devons remonter à 2200m alors que Kapan est à 800m d'altitude. La ville, entourée de hautes montagnes est comme toutes les villes arméniennes que nous avons vu (à l'exception de la capitale) : moche. Les bâtiments de type soviétique sont en briques brutes grises ou marrons (ils ne connaissent pas les enduits), de grandes usines sont abandonnées. Toute ville arménienne qui se mérite a son lot de bâtiments à l'abandon. La mission du jour : faire le plein pour les 2 ou 3 jours de montagne nous séparant de Meghri, dernier bastion arménien avant l'Iran, remplir la bouteille d'essence pour le réchaud (fini le gaz) et trouver un restaurant avec le wifi. Nous remplirons assez facilement nos objectifs et trouvons une cafétéria moderne où nous nous installons pour un café puis finalement un bon déjeuner. Alors que nous traînons sur l'internet, un orage éclate accompagné de pluie diluvienne, on a bien fait de pas se presser ! La pluie continuera ainsi une grosse partie de l'après-midi, ne s'arrêtant que vers 17h, nous en profitons pour écrire le blog, envoyer des nouvelles...

Le ciel lavé mais toujours chargé nous quittons Kapan par la M17 qui traverse la réserve naturelle de Shikahogh. Nous avons choisis de passer par cette petite route plutôt que la route principale car les retours des cyclistes sont très positifs : quasi aucune voiture, route en super état et surtout magnifique descente vers Meghri. La route est cependant hyper raide, avec pas mal de passage à plus de 10% et ce dès les premiers kilomètres, nous ressortons la technique des conversions que nous permet l'absence de circulation. Nous avons rapidement une belle vue sur la vallée et le col passé le matin, par contre Kapan ne fait pas plus rêver vu d'en haut ! Clarisse nous gratifiera même d'un : « On dirait Moûtiers, mais en pire, il n'y a pas de Biocoop ! ». On se marre et on repart. Les sommets environnants culminants à plus de 3000m sont coincés dans les nuages noirs, on n'est pas sereins sur la météo de la nuit et nous sentons qu'il va être compliqué de s'abriter. Peu de temps après il commence à pleuvoir, nous nous réfugions sous un arbre en bord de route. On sent que ça ne va pas s'arranger alors je pars en reconnaissance et trouve un chemin quittant la route, nous nous y engageons en finissons dans un cul de sac qui sert occasionnellement de toilettes. Vu la quantité de pluie tombée le sol est assez propre et il est plat mais l'endroit ne nous plaît guère. Sauf que la pluie redouble et nous n'avons pas vraiment d'autre option donc nous montons la tente sous la pluie en nous engueulant. Les nerfs craquent, nous en avons vraiment marre de ce temps de merde. On se couche et de nouveau il pleut fort en pleine nuit, nous craignons de terminer la nuit dans une flaque mais finalement on s'en sort bien. Au petit matin le panorama est plutôt sympa et il fait assez clair, la nuit nous a été bénéfique et le soleil nous remonte le moral. Nous continuons notre ascension, nous sommes à 1200m.

A Chataken, la route redescend de 300m (ce serait trop facile si on ne faisait que monter), la route est trempée de la nuit. Un camion d'ouvriers nous double, nous le retrouvons plus loin prenant de l'eau à une source. C'est l'équipe d'entretien de la route, nous les remercions pour le bitume en parfait état, ils nous disent qu'ils nous offrirons le café un peu plus haut sur leur chantier. Nous faisons nos ablutions à la source et reprenons la magnifique route totalement déserte, quel plaisir malgré les rudes côtes. Nous arrivons au chantier, ils sont en pleine réfaction d'un pan de la route qui s'est effondré, il ne reste que le goudron à pauser. Le chauffeur du camion Arthur, qui ne fait donc rien d'autre que conduire aller et retour, s'occupe du café. Nous passons encore un sympathique moment avec lui, nous glissons quelques remarques sur les déchets assez présents au bord des routes. Il nous reste que 150m avant un premier col à 1300m (donc pour revenir à l'altitude du matin), à partir de là la route redescend de nouveau de 300m (vive les montagnes russes) avant une partie plane qui précède l'ascension finale. Arthur nous a dit que nous seront à Meghri le soir et qu'il vaut mieux ne pas dormir dans la montagne à cause des ours (la peur de la nature sus-mentionnée vous vous souvenez ?), mais nous savons que le dénivelé restant est trop élevé pour être parcouru en une journée.

Nous nous octroyons une pause longue déjeuner mémorable au soleil à Srashen, j'en profite pour passer 1h à galérer pour changer mes plaquettes arrières en prévision de la longue descente qui nous attend de l'autre côté de la montagne... vivement ! De notre promontoire nous avons une vue imprenable sur la plaine du Haut-Karabagh. L'après-midi est déjà entamée et les cumulus sont déjà bien formés, nous craignons le traditionnel orage quotidien. Juste après Tsav, dernier village avant le col, nous sentons la pluie venir. Nous avons repéré un coin picnic avec abri à la sortie du village, nous faisons demi-tour et arrivons in-extremis devant l'abri au moment où il commence à pleuvoir. Nous mettons toutes nos affaires à l'abri, Georges compris. On commence à être bon en anticipation des averses. Nous laissons passer l'averse et tergiversons sur le fait de dormir là où de tenter de monter plus haut. Les sites de bivouac risquent d'être assez rare sur les prochains 15km, si on se lance il faudra donc aller plus loin et espéré qu'il ne se remette pas à pleuvoir. Clarisse se sent d'attaque pour tenter le coup et braver les cumulonimbus, nous voilà donc repartis. Nous surveillons le ciel d'un œil inquiet surtout ce gros nuage au loin et nous repérons chaque quoi où nous pourrions planter la tente en cas de besoin. La route est à flanc de montagne et clairement les talus ne sont pas stabilisés, ils s'effondrent régulièrement et ils passent le bulldozer pour rouvrir la route, nous ne pouvons donc pas nous poser n'importe où ça pourrait être risqué.

Finalement nous passons la partie scabreuse et nous retrouvons une belle vallée avec la rivière proche de la route. Nous sommes à 1600m et le soleil couchant nous réchauffe. Nous trouvons un magnifique coin pour nous pauser, au bord d'un pont ottoman et avec un point d'eau. Il y a aussi un algecco qui fait office de refuge de fortune. Une tête sort de sous l'algecco, c'est une petite chienne qu s'approche de nous. Elle est trop bien élevée pour être un chien errant, peut-être qu'elle a été abandonnée ? Après la douche tonifiante avec l'eau gelée de la source, nous passons la soirée en sa compagnie et nous lui offrons même une portion de riz.

Nous sommes le 16 mai et nous nous réveillons avec un magnifique ciel bleu et grand soleil. Plusieurs arméniens nous ont dit qu'il faisait beau en Arménie après le 15 mai, ça a l'air de se vérifier. Nous n'avons pas eu un réveil comme ça depuis la Géorgie, nous sommes heureux de retrouver cette sensation. Nous sommes seuls au monde sur cette route de montagne. La chienne est toujours là et attend sagement qu'on se lève. Nous partageons notre petit-déjeuner avec elle : elle aura sa portion d'avoine. Nous prenons notre temps pour attendre que la condensation de la tente sèche et nous voyons débouler un petit van rempli de rangers de la réserve naturelle. La chienne est en fait à eux, elle se nomme Suzy. Ils repartent aussi vite qu'ils sont arrivés laissant Suzy en notre compagnie. Nous attaquons notre dernier col arménien ! Il reste 800m et 8km avant le col tant attendu. La route est toujours raide mais nous montons sans peine, Suzy nous accompagne. Elle nous suivra jusqu'au col ! Nous avons beau tenter de lui faire comprendre qu'il faut qu'elle retourne à son poste, rien n'y fait.


Nous arrivons enfin au col, la vue est à couper le souffle. Les montagnes en face c'est l'Iran ! Nous observons la route qui serpente en lacets jusque dans la vallée 1800m plus bas. Nous déjeunons les yeux rivés sur les montagnes qui nous attendent pour nos prochains jours, elles sont bien plus pelées que celles que nous venons de parcourir. La descente la plus longue depuis notre départ nous attend sur la route en meilleur état de tout l'Arménie : 27 km ! Nous ne croisons aucune voiture, juste un groupe de cyclistes polonais qui peinent dans la montée. L'air se réchauffe à mesure que nous descendons, la végétation devient plus basse et se raréfie. Nous sommes très loin désormais du vert luxuriant précédant le col, nous arrivons dans le royaume du marron et du gris. Les disques brûlant, nous stoppons notre course au moment où la route s’aplanit, au bord de l 'Araxe, fleuve frontière entre l'Iran et ses voisins : Arménie et Azerbaïdjan. Nous sommes à 500m d'altitude et il fait chaud.

Dans la vallée entourant le fleuve sont cultivés grenades et abricots. Des montagnes acérées et rocailleuses l'entourent, univers minéral. La route longe les barbelés de la frontière sur 15km. Nous devons remonter un peu pour arriver à Meghri, ça nous coûte : nous avons chaud, soif et sommes fatigués mais il reste peu de kilomètres. Nous décidons de nous prendre une chambre pour bien dormir avant d'attaquer les 2 jours de montagne supplémentaire nous séparant de Tabriz. Dans la partie haute de cette ville carrefour, il n'y a aucun hôtel, nous redescendons donc et au moment où nous rejoignons la M2 qui arrive de Kapan, nous tombons nez à nez avec la voiture de la famille d'iraniens rencontrés quelques jours plus tôt ! Ils rentrent de Yerevan, improbable coïncidence, à quelques minutes près nous nous rations. Aref et Aïda nous invitent cette fois chez eux à Tabriz, nous ne sommes pas encore arrivés en Iran et nous y avons déjà une adresse !

Nous trouvons un hôtel assez clean pour un prix modeste, la douche et les toilettes sont propres, nous pouvons nous faire à manger et il fait frais, ça nous va bien. Bon pas de lit double mais deux lits simples à chaque bout de la pièce dont l'un est franchement inutilisable vu l'état du matelas, nous dormirons donc à deux dans le petit lit. Nous sommes motivés à nous coucher tôt pour récupérer et pouvoir démarrer à la fraîche. Vu que nous sommes pausés et au calme, je saute sur l'occasion pour faire la vidange du moyeu Rohloff que je redoute un peu donc je préfère avoir le temps. Clarisse en profite pour partir faire des provisions pour les jours suivants, il nous reste des Dhrams, autant les dépenser. Je suis prêt à me lancer dans l'affaire lorsque trois personnes débarquent à l'hôtel, forcément je suis une attraction pour eux qui ne s'attendaient pas à voir de touristes, encore moins à vélo, dans cette ville du bout du fin fond du pays et je les laisse essayer le tandem. Ils ne parlent quasiment pas anglais mais ils veulent nous inviter pour le dîner et pour s'en jeter un (facile à comprends grâce à la fameuse pichenette dans la gorge). J'accepte, bien entendu, c'est loupé pour la soirée tranquille à se coucher tôt mais c'est sympa pour notre dernière soirée arménienne. Je me remets à la tâche, j'ai besoin de calme pour cette première vidange mais forcément les trois me tournent autour et veulent aider, pas vraiment pratique. Je m'en sors tant bien que mal et finalement leur aide sera la bienvenue car ça ne sera pas aussi simple que prévu mais au moins c'est fait.


Ils partent faire les courses et reviennent un peu plus tard avec tout ce qu'il faut pour le dîner. Nous insistons pour participer et nous ajoutons des pâtes au menu. C'est prêt, nous sommes conviés dans leur chambre qui ressemble curieusement à une chambre d'hôpital : trois lits simples parallèles, une télé, la table est dressée au milieu de la pièce. Nous passons une soirée à nous marrer avec ces trois employés de la société de télécoms arméniennes, ils travaillent en équipe et sont souvent en déplacement ensemble. Ils ont notre âge et sont contents de nous inviter. L'un d'entre eux sort la gnôle du grand-père et me verse de bonnes rasades, pour une fois qu'on ne doit pas pédaler ensuite, je cède sans modération. Nous nous couchons trop tard et trop alcoolisés (pour ma part) mais nous avons passé une excellente soirée pour clore notre aventure arménienne.

Toutes les photos de notre périple arménien ici

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