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Du Qinghaï au Sichuan



 Après la Chine des villes nous voici donc partis pour découvrir la Chine des champs !

Au programme des festivités pour les jours qui viennent : un col à 3200m, puis un autre à 3700m. Xining étant à 2000m ça nous fait un peu de dénivelé tout de même. Nous avons prévu des étapes assez courtes pour ne pas trop fatiguer les genoux de Clarisse. Avant de quitter Xining, nous faisons le plein d'essence pour le réchaud, c'est beaucoup moins simple en Chine qu'en Asie Centrale. On commence par un refus de principe de la part du personnel, j'insiste en mimant que c'est pour manger, je patiente, je sens que ça va être bon. Après quelques minutes celle qui me paraît être la responsable me demande de la suivre : elle fait une photocopie de nos passeports, prend mon numéro de téléphone chinois... nous sommes fichés ! Pas intérêt de faire les cons avec notre bouteille d'essence (ça tombe bien c'est pas trop l'idée). On sent que les chinois se protègent au cas où il y aurait un problème.


Nous quittons la ville par une belle route bien large qui se termine... par une palissade de travaux (et nous sommes bien sûr à l'intérieur de la palissade), ça commence bien ! Un autre véhicule est coincé comme nous, un homme arrive et leur ouvre sans broncher... nous nous engouffrons derrière eux. Ouf ça nous a évité un beau détour !

La route est très bonne, ça fait plaisir. Et pour le moment peu de trafic car nous longeons une voie express que la plupart des véhicules empruntent. Tout de suite, nous sommes marqués par les cultures omniprésentes en bord de route, même parfois en ville, et par le côté hyper fleuri du pays : que ce soit les champs de fleurs, les bas-côtés soignés ou simplement les fleurs sauvages poussant anarchiquement. Mais ce qui étonne le plus est le nombre incalculable de portiques portant des caméras qui flashent les véhicules : le gouvernement suit sa population à la trace.

A Ping'an nous nous arrêtons dans un restaurant, premier vrai contact à vélo avec la population, les gens sont enthousiastes et nous arrivons assez facilement à faire comprendre que nous sommes français (Fagùo en mandarin). Des élèves en survêtement en guise d'uniforme s'attablent dans le restaurant, ils mangent à l'extérieur le midi, même les plus jeunes.

Nous bifurquons au sud et continuons à longer une autoroute. Nous commençons à avoir quelques inquiétudes pour notre bivouac du soir : autour de la route c'est cultures ou habitations ! Pas vraiment de terrain naturel où planter la tente. Nous finirons tout de même par nous trouver un petit coin en contrebas de la route, dans un bosquet, malheureusement nous ne pensions pas qu'il y aurait un aussi fort trafic de camions en pleine nuit.

Au lever du jour le temps est maussade tout comme la veille, la tente est humide. Nous reprenons l'ascension de notre premier col chinois. La pente est douce et régulière, le bitume en parfait état, Clarisse en est soulagée, nous sommes loin des grimpettes infernales du Kirghizistan. L'autoroute emprunte un tunnel alors que notre route grimpe vers le sommet. On sent que le pays a réalisé de gros aménagements pour mailler le territoire d'autoroutes. Les régions enclavées ne le sont plus. On croise des « balayeurs de route », à croire qu'ils sont maniaques de la propreté des routes ici... des routes mais pas de la nature car on les voit jeter sans gêne les détritus ramassés sur la chaussée dans le champ d'à côté, pathétique.

Le col est en vue, il est tout habillé de drapeaux de prières bouddhistes. Au sommet nous aurons le plaisir de voir des automobilistes de passage rendre hommage à leurs déités en brûlant du maïs dans un petit four (agréable odeur de pop-corn, mais bien sûr le plastique les contenant fini, lui, dans la nature) ou en tournant autour d'une sorte autel tout en lançant des papiers de prières au grès du vent (qui jonchent le sol partout autour du col). Une petite échoppe sous tente vend tout le nécessaire à prière directement sur place.


Après quelques photos de rigueur avec les locaux, nous nous jetons dans la descente. C'est parti pour 35km ! Nous rêvions de descentes aussi agréables depuis... euh... très longtemps ! Nous nous arrêtons dans un village pour nous réchauffer (il fait pas bien chaud dans la grisaille à 3000m) et nous sustenter. Le restaurant est plein, la plupart des clients sont musulmans. Nous sommes dans une région ou le mix tibétain/hui prédomine. Nous dénotons largement avec l'assemblée mais on nous sourie et ceux qui ont vu le vélo nous gratifient d'un beau pouce levé. Nous nous régalons une fois de plus d'un plat de nouille commandé parmi les quelques plats imagés au dessus de la cuisine.

La fin de la descente nous amène dans une grande vallée où coule le Fleuve Jaune, deuxième plus long fleuve de Chine. Son nom vient de sa couleur, elle-même due aux sédiments apportés par ses affluents. Un panneau indique « Kanbula scenic spot 12km ». Bien que ce ne soit pas sur notre route, je motive Clarisse à faire le détour : « on ne sera pas tous les jours près du Fleuve Jaune ! ». Un jeune homme parlant anglais car ayant travaillé au Nigeria nous aborde, ils nous posent des questions mais n'écoute pas les réponses, il veut simplement parler anglais (mais pas discuter semble-t-il). Ils nous apprendra tout de même que la région est surtout peuplée de tibétains et que nombreux se sont convertis à l'islam, à l'instar de sa famille.

Nous partons donc plein ouest, alors que notre route va dans la direction opposée. Nous réalisons au bout d'un moment que le « scenic spot » est en fait un parc payant, comme le sont tous les lieux d'intérêt du pays. Ca doit être assez touristique vu que nous ne croisons pas moins de vingt bus d'un coup. Nous suivons du coup des panneaux pour nous approcher du lac formé sur le fleuve par un barrage. Finalement après 20km et pas mal de montée nous arrivons en vue de ce lac et nous pouvons deviner les formes escarpées des montagnes du parc sur la rive opposée. Le coin est pris d'assaut par des militaires qui ont l'air d'établir un camp, nous ne bivouaquerons pas ici. Pas dit que la récompense valait le détour... par beau temps ça doit être très beau en tout cas. En rebroussant chemin, nous nous trouvons un coin pour nous installer hors des regards, de toute façon pas bien le choix, il va rapidement faire nuit.

C'est reparti pour la route et ses « up and down » en sens inverse ! Nous longeons le fleuve toute la journée et nous passons et repassons sous une autoroute quasiment 100% surélevée. Quel boulot ça a dû être pour la construire, l'immense pont sur lequel elle enjambe le fleuve avant de s'engouffrer dans un tunnel ne fait que nous le confirmer.


Nous apercevons ça et là des chortens (nom tibétain des stupas, mausolées bouddhistes), on est bien en pays tibétain. Les montagnes découpées alliant herbe rase verte et terre rouge ressortent plus que jamais sous le timide soleil qui se dévoile enfin. Nous quittons le fleuve par un pont pour suivre un de des affluents. A l'embouchure, les courants des deux flux ont créé une zone où les objets flottants restent piégés : c'est une véritable mer de déchets plastiques. Voyant cela on imagine largement la quantité qui termine sa course dans l'océan, la Chine n'est pas en reste en terme de pollution plastique.

Nous essayons d'oublier cette triste vision en remontant la rivière qui devient un torrent tumultueux là où la vallée se ressert. Avec sa couleur boueuse et le bruit des flots sur les rochers, elle nous rappelle le Panj que nous avions suivi, pendant près de 300km, au Tadjikistan . Nous jouons encore au chat et à la souris avec l'autoroute qui, elle, alterne entre tunnels et passages aériens. En fin de journée, une large vallée s'ouvre face à nous, elle mène à la ville de Tongren. Après avoir demandé de l'eau à une mamie qui nous offrira des poires, nous trouvons refuge dans une culture de résineux en bord de route avec une belle vue sur la vallée. Nous avons rattrapé le détour de la veille par une grosse journée et nous sommes éreintés. Encore une fois nous sommes surpris par le trafic de camions durant la nuit... le calme des bivouacs kirghizes se rappellent à notre souvenir.

Le soleil nous sort du lit, ça nous met de bonne humeur. Nous avons choisi de faire une boucle au sud en direction de Tongren sans pour autant aller jusqu'à la ville, cela nous permettra de voir plusieurs monastères bouddhistes sur le chemin. Nous tombons d'abord sur le village tibétain de Gasar, nous nous faufilons entre les chortens puis dans ses ruelles étroites pour admirer de plus près les toits dorés des temples et de la grande salle de prière jouxtant la place du village. Comme tous les bâtiments de culte, les moulins à prières ceignent le temple. Il n'y a pas de touristes et nous croisons seulement quelques moines, quelle chance. Nous sommes surpris par le nombre de caméras présentent dans les ruelles du village, les moines tibétains seraient-il sous surveillance ? Ce ne serait guère étonnant. Nous continuons vers un autre village, Gomar. Là encore les magnifiques toits dorés brillent de milles feux sous le grand soleil et dénotent avec la blancheur des murs des bâtiments. Comme dans le village précédent, les croyants qui tournent autour du temple dans le sens des aiguille d'une montre tout en actionnant les moulins à prières sont au rendez-vous. Nous sommes étonnés par leur hâte, cette marche étant plutôt censée être méditative. C'est une véritable immersion dans la culture tibétaine et bouddhiste comme nous l'espérions.


 Nous partons ensuite découvrir Wutun, célèbre dans le monde tibétain pour les tangkas qui y sont réalisés. Ce sont ces peintures bouddhistes avec de très nombreux détails qui ornent les temples mais qui peuvent aussi se vendre sous forme de toiles. Nous cherchons un restaurant, nous demandons donc à une famille bricolant devant leur maison. Le jeune homme demande à sa mère, et se retourne vers nous pour nous inviter à manger chez eux. Nous sommes gênés mais nous acceptons. Nous entrons par la massive porte de bois donnant sur la rue, comme toute les maisons tibétaines que nous avons pu voir, elle donne sur une cours intérieure carrée. La partie habitable de la maison est en face du portail. Une grande véranda protège les boiseries sculptées qui ornent la pièce à vivre et en fait un endroit lumineux et réchauffé par le soleil. La maison paraît toute neuve. Nous discutons avec Tashi par WeChat interposé, traduisant tour à tour le message de l'autre. Il a un peu moins de 30 ans et est la 3e génération d'une famille de peintres de tangkas. Il gagne sa vie en vendant des œuvres et a fait construire la maison avec ses économies. Son père et sa mère vivent aussi sous le même toit. Il nous présente sont fils qui rentre de l'école. Ici on est parent jeune. Nous passons un agréable moment dans l'intimité de cette maison tibétaine puis nous repartons pour visiter le monastère, rassasiés et heureux de cette rencontre. Le village est totalement en travaux, réfaction pendant la basse-saison ? Un immense statue dorée de Bouddha, nous accueille à l'extérieur des murs. Le monastère est immense, à l'intérieur des murs se trouvent des temples mais aussi les habitations des moines. Nous en prenons plein les yeux. Un moine nous fait faire la visite guidée du monastère, dommage qu'il ne parle pas un mot d'anglais. Le prix de l'entrée nous donne accès à l'intérieur de plusieurs temples ou trône à chaque fois la statue d'une divinité, devant laquelle sont disposées toute sorte d'offrandes : fruits, billets, boissons... Nous revenons à temps retrouver Georges alors que des jeunes moines sont en train de tenter de le retenir de tomber, forcément ils sont montés dessus et lui ont fait perdre l'équilibre. On ne leur apprend pas le respect des biens d'autrui à priori.

Après cette belle journée de visites culturelles, nous reprenons la route direction Labrang, ville-monastère où se rendent de nombreux pèlerins... et aussi de nombreux touristes. Les paysages sont superbes et nous nous trouvons un beau bivouac pour cette de cette fin de journée ensoleillée.


La route prend de l'altitude le long d'un torrent, les montagnes sont toutes habillées de sapins, on pourrait être dans les Alpes. Au sommet, à 3000m d'altitude, nous débouchons sur une petite ville qui domine un plateau, où nous déjeunons avant de faire un tour au monastère, les toits dorés nous attirent systématiquement. Nous goûtons à notre premier yaourt de lait de yack, c'est excellent (et très proche d'un yaourt de vache bien crémeux). Au détour du monastère, un vieux moine nous fait signe de nous inviter pour manger, nous déclinons car nous avons déjà été au restaurant. Il s'approche de nous, regarde ce que Clarisse a dans la main : le pot vide du yaourt. Il lui arrache des mains et le jette à même le sol dans la rue ! Nous sommes outrés ! Si même les moines bouddhistes jettent leur déchets dans la nature et n'ont aucun respect pour l'environnement où va le monde ?! Déçus, nous reprenons la route vers le col culminant à 3643,66m tel que le décrit précisément le panneau du sommet. Les drapeaux de prières marquent de nouveau le passage du col notre champ de vision s'ouvre sur un second plateau bien plus grand que le premier. Des tâches noires mouchettent les pâturages roussis par le soleil à perte de vue, ce sont des yacks qui profitent de cette fin d'été. Nous retrouvons l'ambiance des steppes kirghizes et des nomades, seulement ici les tentes carrées ont remplacé les courbes des yourtes.

Superbe descente en pente douce pendant plus de 20km, vraiment nous sommes fans des routes chinoises pour le moment. Nous croisons de nombreux tibétains à moto, certains à deux, d'autres à trois voire à quatre sur le même deux-roues. Ils sont vêtus de manteaux de laine aux manches trop longues et ont le visage camouflés derrière une écharpe, dont seuls les yeux se distinguent. C'est un peu les touaregs chinois. Certains portent un chapeau de feutre.. pas très pratique à moto ! Nous trouvons une forte similitude vestimentaire entre ces habitants des hauts-plateaux asiatiques et leurs alter-egos des Andes... seraient-ce les besoins de l'altitude qui les ont engendrées ? Ou viennent-elles d'ancêtres communs ?

Nous nous demandons d'où sort tout se monde, il devait y avoir un événement dans un village voisin car le flux de véhicules ne s'arrêtent pas pendant plus d'une heure. Nous avons heureusement trouvé un petit coin de bivouac assez loin de la route. La température tombe assez vite, la nuit promet d'être fraîche. Ca ne loupera pas, et au matin la campagne est toute gelée, la tente aussi ! Mais par chance il fait encore très beau et le soleil nous réchauffe rapidement. Nous continuons notre route pour Labrang, nous passons de nouveau un col où de nombreuses voitures sont arrêtées et où les gens pique-niquent dans l'herbe. Le coin à l'air d'être un lieu habituel pour une excursion dominicale. Une classe entière de jeunes moines est de sortie.

 La route est relativement chargée en ce samedi, nous sommes au début d'un week-end prolongé car c'est la fête de l'automne qui donne lieu à quelques jours fériés. Nous atteignons Xiahé, la nouvelle ville située juste avant le monastère de Labrang. Nous arrivons par le côté musulman de la ville et nous nous arrêtons déjeuner. Nous trouvons toujours du pain depuis notre entrée en Chine et c'est principalement car les chinois musulmans en consomment, nous imaginons que nous n'en trouverons pas forcément tout au long du pays et nous en profitons donc au maximum.

Du fait des vacances, nous avons préféré réserver un hôtel au cas où tout serait occupé. Il se situe dans la partie tibétaine de la ville de l'autre côté du monastère. Nous traversons donc Xiahé qui est totalement en chantier. Décidément en Chine tout est en travaux : les routes, les villes, les villages, les monastères ! C'est comme si le pays étant en pleine remise à neuf. Il y a un monde considérable qui travaille sur ces chantiers, hommes ou femmes sans discrimination (surprenant au premier abord de voir des femmes faire du BTP). Ce qui nous marque le plus c'est qu'on dirait que certains ouvriers ont été réquisitionné au coin de la rue avec leurs tenues beaucoup trop bien habillées pour la situation. Pour certains on a un peu l'impression qu'ils ont été interceptés alors qu'ils partaient en soirée : « Aller ma petite dame ! On enfile ces gants et on me continue ce bout de trottoir ». En tout cas ça ne chaume pas et on peut voir les travaux avancer d'un jour sur l'autre.

Nous trouvons l'hôtel qui paraît bien neuf, une vieille dame ne parlant pas anglais nous fait comprendre qu'il n'y a pas d'eau chaude ! « Ah ben merci mais non merci ! ». Nous retournons donc à Xiahé en traversant à vélo par le monastère et à la sortie Clarisse nargue le garde qui nous en avait interdit l'accès à l'aller. Nous trouvons facilement une chambre pour un prix 4 fois moindre que celui affiché dans l'entrée (ils ne prendraient pas les gens pour des pigeons ?!).

Labrang est un site très touristique, en témoigne le nombre de toilettes que l'ont peu trouver sur le site (ce qui, entre-autre, assure d'en trouver des propres). L'authenticité et la mysticité du lieu pâtissent de cet afflux touristique (principalement chinois). Nous avons de la chance car malgré les vacances il y a peu de monde et on peut croiser les nombreux pèlerins tibétains qui font le tour de la kura (enceinte) en tournant les centaines de moulins dès le petit jour. C'est une ambiance vraiment singulière qui anime ce monastère et les rues de la villes. On y croise autant de vieilles tibétaines en guenilles, semblant sortir tout droit des confins les plus perdus du pays  avec leur teint buriné et leur dos cambré par les charges qu'elles ont portées toute leur vie; que des moines bouddhistes dans leur toge rouge et bottes noires se rendant au pressing; ou encore des touristes chinois et même quelques occidentaux appareil photo en bandoulière (nous en faisons bien sûr partie). Le monastère est très beau mais nous sommes un peu déçu par son côté « lieu d'observation des moines dans leur habitat naturel ». Le bon côté de cette ouverture au tourisme est que cela nous permet de pénétrer la grande salle de prière au moment où les moines se regroupent et récitent des prières entre-coupées de sons polyphoniques gutturaux. 100% ambiance mystique garantie (ou remboursée ?). Les moines portent tous, ou presque, de très simples bottes de laine noir, toutes identiques, qui sont laissées à l'entrée de la salle... c'est à se demander comment elles retrouvent leur propriétaire. Ah les moines et leur vie de sobriété... nous les auront surtout vu vissés à leur smartphone, certains à bord de SUV rutilants mais surtout nous avons l'impression qu'ils sont toujours entrain de courir ! La méditation et la contemplation semblent cantonnées aux moments de prières de nos jours.

 Nous avons retrouvé l'instant d'un dîner Lynn et Robert, cyclistes hollandais que nous avions rencontré en Albanie, à Athènes puis en Cappadoce ! Ils nous avaient doublés à bord d'un 4x4 lors que nous roulions en direction de Zharkent avec mon père, depuis ils sont devant nous pour la 1ère fois depuis l'Albanie. Parfois on a un peu l'impression d'être dans un immense jeu de l'oie où chacun à sa destination et où les équipes s'entre-aident pour passer les épreuves : visas, frontières, lieux stratégiques... nous sommes en contact avec une dizaine de personnes avec qui nous échangeons régulièrement des nouvelles ou des infos : la petite famille des cyclo-voyageurs 2018.


Après cette journée de pause touristique, nous prenons la route en direction de Langmusi, village frontière entre le Gansu (nous avons quitté le Qinghaï avant Labrang) et le Sichuan. Nous ne choisissons pas la route la plus directe au contraire des autres cyclos car nous avons repéré sur la carte une gorge, creusée par une rivière aux multiples méandres, que nous souhaitons emprunter. Cet itinéraire nous permet de passer par la ville de Hezuo, connue pour la tour Milarepa et ses 8 étages qui accueillent différentes sectes bouddhistes. Elle est impressionnante mais l'édifice actuel ne date que des années 80 car l'original a été détruit durant la révolution culturelle (comme beaucoup...). Le parvis de la tour est une véritable cours des miracles, on y voit : mendiants, estropiés, disciples tournant autour de l'édifice, certains s'allongeant au sol à chaque pas. Un groupe de jeunes moines zonent dans le coin et viennent voir ce que je fais alors que Clarisse est partie visiter la tour (nous n'avions aucune envie de laisser le tandem sans surveillance avec tant d'adolescents livrés à eux-mêmes). Nous aurons définitivement le cœur net que le respect n'est pas enseigné aux jeunes moines en Chine : outre les voir jeter leurs détritus par dessus un mur, nous les surprendrons à volontairement casser des tuiles ornant les alentours de la tour...nous sommes sidérés, ils dégradent leur propre monastère ! Nous fuyons ces petits mal-élevés et traversons la ville avant de rechercher un bivouac pour la nuit, si possible assez loin de la route cette fois ! Un petit vallon qui se présente fait tout à fait l'affaire, et le beau temps de fin de journée nous permet même une douche nature dans un cours d'eau.

Toutes les bonnes choses ont une fin. Le beau temps n'aura pas duré et nous nous réveillons tristement sous la pluie. Nous décollons dès la première accalmie. Un fois quitté la route, nous sommes dans la campagne chinoise, la vraie ! Dans la vallée nous amenant à la rivière, de très nombreux petits cochons noirs sont en totale liberté. C'est la première fois que nous en voyons autant ! Ils fuient à notre passage en grouinant, ça nous fait rire malgré la pluie qui s'est remise à tomber. A midi nous sommes au village de Lexiu. Nous entrons dans le seul restaurant, la salle est comble, les clients lèvent la tête de leur bol comme un seul homme et nous dévisagent. Il ne doit pas y avoir beaucoup d'étrangers qui passent par ici. Comme nous ne connaissons pas beaucoup de noms de plats, ce sera mian pian once again pour tous les deux. Nous nous frayons une place à côté de deux tibétains en train d'engloutir leurs nouilles dans un concert de «slurps» et qui à notre grande surprise abandonneront des bols à moitiés pleins. Nous ne pensions pas que l'on pouvait gâcher de la nourriture même dans des coins aussi pauvres et ruraux. Ca nous attriste. En attendant notre plat, le thé vert nous réchauffe malgré son habituel horrible goût d'herbe (le thé se résume en général à quelques feuilles sèches jetées au fond d'un bol que l'on rempli d'eau bouillante conservée dans de gros thermos... de l 'eau à l'herbe quoi).

Le temps de la pause, la météo s'est nettement améliorée et nous repartons sous un beau soleil qui nous permet de sécher nos affaires. Nous attaquons la remontée de la rivière Tao, qui sera bien plus longue que prévue avec tous ses méandres. Mais le coin est superbe, la gorge est parfois étroite, parfois plus large ce qui laisse la place aux cultures ; ses parois sont tapissées de sapins. Nous passons des villages où le toit doré d'un temple trône et où les foins mis en fagots sèchent sur de grands échafaudages. Nous sommes vraiment satisfaits de notre choix car nous voyons très peu de véhicules et nous traversons un paysage très différents du paysage de steppes de la région. Nous sommes toujours à près de 3000m mais le long de cette rivière on pourrait se croire à 1000m dans nos massifs français.

 Une partie de notre détour se fera sur une piste car la route n'est pas terminée, les travaux sont en cours bien sûr, aucun coin n'est épargné par la modernisation. La piste nous fait gravir un raide col à 3500m avant de retomber sur une belle vallée isolée. Les arbres laissent place à l'herbe rase, quelques tentes font leur apparition. Retour au Kirghizistan l'espace de quelques heures, les clôtures en plus. Nous sommes stupéfaits de voir des clôtures (avec barbelés svp !) de part et d'autre de la route dans ce coin si peu peuplé, est-ce uniquement pour les animaux ?

La région héberge des marmottes au sifflement bien particulier. Vous-êtes vous déjà demandé pourquoi les peluches de marmottes des magasins de souvenirs (celles qui sifflent quand on passe devant) imitaient très mal le sifflement des marmottes que nous connaissons ? Et bien parce que ce sont probablement des peluches made in china qui imitent pour le coup exactement les marmottes chinoises ! CQFD. Hormis cette révélation d'importance cruciale, nous nous régalons à observer la colonie de rapaces de la vallée (une sorte de vautour probablement), grâce aux petites jumelles que nous a amené mon père. Et c'est finalement après un dernier petit col où paissent des yacks que se termine ce « détour » fort agréable de deux jours. Nous retombons ainsi sur la route principale 20km à l'ouest de Langmusi.

A l'intersection nous tournons la tête et apercevons deux vélos chargés devant un restaurant : « des cyclos ! ». Nous nous ruons donc à l'intérieur vu que nous avions prévu de déjeuner une fois à la route. C'est ainsi que nous rencontrons Andy et Mimi, autrichiens de Innsbruck, en voyage depuis 1 an. Il est physicien, elle est avocate. Innsbruck est un peu la jumelle autrichienne d'Annecy : ville active avec un grand panel d'activités outdoors et nous sympathisons rapidement du fait de nos centres d'intérêts communs : ski de randonnée, montagne... et voyage à vélo bien sûr. Ils sont grimpeurs et ont passé les mois d'hiver sur une île grecque à faire de l'escalade, sympa. Eux ont tout fait à vélo depuis l'Europe, notamment la traversée complète du Xinjiang depuis Kashgar, ils nous racontent de belles anecdotes sur leur vécu de cette région et ont plutôt apprécié ces semaines dans le désert.


C'est donc tous les quatre et accompagné de nouveau par un timide soleil que nous continuons vers Langmusi. Nous y négocions facilement un hôtel où nous sommes les seuls clients et nous terminons la journée par la visite du monastère qui surplombe la ville (qui est bien sûr en travaux pour changer) puis par un restaurant servant de bons plats du Yunnan pour varier des mian pian. A la fin du repas, le patron, bien attaqué par les tournées qu'il a pris avec l'autre tablée de la soirée, vient nous faire goûter le baiju (alcool de céréales – sorgho, maïs ou riz - ou « white wine » comme ils l'appellent). Et nous aurons le droit à une session de selfie avec les jeunes clients éméchés, après quelques clichés nous fuyons cette bruyante troupe pour nous coucher.

En se réveillant, Clarisse ne retrouve plus le sac cabas lui servant de sac à main. Nos passeports étaient dedans ! Petit coup de stress pour bien commencer la journée. Elle file au restaurant, qui est déjà ouvert par chance, et le patron encore ensuqué lui tend le sac oublié à notre table. Tout y est, ouf ! Petit rappel à l'ordre après 6 mois de voyage et rien d'important de perdu (mais beaucoup de choses non indispensables par contre !).

Andy et Mimi vont dans la même direction que nous, nous allons donc poursuivre quelques jours ensemble et nous en somme ravis. Pour franchir une petite chaîne de montagne, nous empruntons notre premier tunnel chinois long de plusieurs kilomètres, la circulation est alternée et il est éclairé donc tout se passe pour le mieux. Le tunnel débouche sur une immense steppe baignée par le soleil, les chinois appellent ces régions d'altitude les « grass lands » (i.e pays herbeux), et ce sont les coins de prédilection pour l'élevage des yacks. Plus d'une centaine de kilomètres à travers ce plateau nous attendent. La petite route que nous empruntons est, bien sûr, en travaux : elle est en entrain d'être bitumée, au programme poussière, graviers et gros camions. Si on était passé 10 jours plus tard nous aurions eu une route toute neuve.

 Les pâturages sont troués de terriers de petits rongeurs qui courent se mettre à l'abri à notre arrivée et ressortent la tête voir ce qui se passe, ça nous rappelle ce jeu où on tape avec un marteau sur des taupes sortant aléatoirement de leur trou. La réalité étant bien plus cruelle que les jeux, les locaux attrapent ces petits animaux pour les faire sécher au soleil et les consommer, pas hyper appétissant l'étendage à rongeurs.

C'est sur un beau promontoire surplombant la steppe que nous bivouaquons pour la première fois tous les quatre. La nuit est froide, nous sentons que l'automne arrive et une fois de plus c'est la gelée qui nous accueille au petit jour.

 « Le beau temps ne dure que trois jours », ce n'est pas le nouveau roman de Beigbeder, c'est l'adage qui semble régner depuis que nous sommes en Chine. Et nous voilà donc reparti pour la grisaille et la pluie, à plus de 3000m fin septembre ce n'est pas hyper fun. Nous passons une région indiquée comme « wet lands », la région porte bien son nom : les pâturages sont inondés de partout. Puis nous traversons le plus grand « grass lands » qui est en fait transformé en parc d'attraction : des petits camps de part et d'autre de la route invitent les citadins de passage à faire un tour à cheval ou en quad, voire à séjourner dans des camps de cabanons tous identiques. Les chinois ont compris que le folklore de leurs minorités pouvait être tourné en attrait touristique pour le chinois Han moyen habitant dans la plaine sur-urbanisée. C'est en fait la moindre curiosité qui est tournée en attraction, payante si possible. La preuve par l'exemple : le hasard de notre itinéraire, nous amène de nouveau au bord du Fleuve Jaune, bien en amont de la zone que nous avions longée au Qinghaï, là où le fleuve fait son premier méandre (« Wouaaaaaaah ! » s'écrit l'assemblée, ironiquement). Au détour d'une colline, nous tombons donc sur l'attraction phare du coin, ni plus ni moins que « the first bent of the Yellow River ». Une sorte de péage barre la route qui amène à un semblant de ville (probablement créée de toute pièce) dominée par une colline d'où peut être observée cette incroyable curiosité naturelle. Restera à jamais gravé dans nos mémoires le souvenir du « premier méandre du fleuve jaune » (ou pas).


La météo se dégrade sérieusement, « il pleut à gauche et à droite » commente Andy, heureusement nous allons tout droit, direction la ville de Tangke. Nous y faisons quelques emplettes pour un éventuel bivouac sous les regards incrédules des habitants, mais la menace d'une grosse pluie nous décidera à chercher un hôtel. Nous entrons au hasard dans l'établissement probablement le plus « classe » de la ville pour demander les prix, le réceptionniste semble ne rien comprendre à ce que nous voulons (c'est pourtant pas compliqué, quand on rentre dans un hôtel on veut une chambre, pas un kilo de viande). Finalement après plusieurs tentatives avec Andy, nous arrivons à lui faire comprendre que nous voulons deux chambres doubles,le réceptionniste nous montre des chambres que nous parvenons à négocier. Ce n'est qu'ensuite qu'il appelle quelqu'un parlant anglais, qui nous explique alors qu'il n'y a pas d'eau chaude ! « Ah ben non ça va pas le faire nous sommes gelés », j'insiste auprès de mon interlocuteur et je repasse le téléphone au réceptionniste, qui me le tend de nouveau : « Ok il y aura de l'eau chaude mais d'ici 2h », soit. Nous comprenons vite pourquoi, malgré que l'hôtel et les chambres soient neufs et de bon standing, la chaufferie fonctionne au feu de bois ! Vu que nous sommes les seuls clients, il faut lancer le feu. Nous aurons donc de l'eau chaude (ou presque) mais par contre nous nous rendons vite compte qu'il n'y a absolument pas de chauffage. Au moment de se coucher il fait 12°c dans les chambres, heureusement qu'il y a de bonnes couettes.

Nous passons somme toute une bonne nuit au sec et nous reprenons la route sous la grisaille mais sans précipitations pour le moment. Nous avalons 60km sur une bonne route avant la pause et avant la pluie. Enfin.. ça s'est joué de peu que nous arrivions dans un restaurant avant la pluie, il nous aura manqué 15min. Pour changer nous dégustons un bon plat de mian pian accompagné de thé vert goût herbe !


Ce qui est top avec la Chine, c'est que pour être dans le ton local à table, il faut faire exactement le contraire de tout ce que nos parents ont mis des années à nous inculquer : manger la tête dans l'assiette (ou le bol), les mains sous la table si possible histoire d'être bien plié en deux, faire du bruit en aspirant les nouilles, se lever de table dès qu'on a fini sans attendre les autres et même ne pas finir son assiette (rassurez-vous nous on fini toujours tout jusqu'à la dernière goutte). Parfois on nous observe curieusement, ils trouvent ça probablement bizarre voire indécent que nous ne faisions presque pas de bruit... peut-être se demandent-ils si nous apprécions la nourriture qu'on nous a servie ?

C'est l'heure du verdict, Andy et Mimi vont-ils prendre la même route que nous ou vont-ils partir de leur côté ? Après un débat enflammé en dialecte du Tirol (sans les « yodeléhihi »), ils se décident à nous suivre, une fois de plus nous nous en réjouissons (Clarisse a un peu triché en leur promettant des pancakes un matin).


J'ai choisi une route plus petite sur la carte afin d'éviter le trafic, avec toujours le risque que la route ne soit pas intégralement asphaltée. Nous repartons du restaurant avec une éclaircie, c'est déjà ça. Quelques kilomètres plus loin, alors que notre carte ne nous le laisser pas supposer, nous tombons sur un village avec un immense chorten-temple. Il tient presque plus d'un vaisseau de Star Trek que d'un monument bouddhiste. Il se passe quelque chose en ce jour en tout cas, nous allons voir. Une foule de tibétains assis écoutent un lama lire des écrits sur un autel, il semble être quelqu'un d'important. Ceux qui nous aperçoivent se retournent et nous observent. Avec leurs lunettes de vue, Andy et Mimi détrônent Clarisse et ses cheveux frisés pour les selfies avec les locaux, et oui dans ce coin du monde très peu de gens en portent. Certains disciples présents semblent venir de coins vraiment reculés. Nous montons au pied du chorten, on nous laisse entrer tout comme le fond les pèlerins. Nous faisons le tour dans le sens des aiguilles d'une montre suivant le flot. A l'intérieur se trouvent de grandes statues dorées devant lesquelles les visiteurs prient et laissent des offrandes diverses et variées. Se trouvent aussi des sorte de grandes bibliothèques vitrées et ordonnées en rangées numérotées qui contiennent des cubes colorés. Nous n'avons aucune idée de ce que représentent ou contiennent ces cubes, peut-être des écrits sacrés, en tout cas nous voyons des personnes s'arrêter à chaque rangée et psalmodier une prière. Dommage que nous ne trouvions personne pour parler anglais et nous expliquer.

Au moment de ressortir, un moine nous fait signe que nous pouvons monter, « Monter dans le cockpit du vaisseau ?! », « On y va ! ». On nous amène à l'ascenseur (oui c'est un bâtiment récent) que nous attendons avec des tibétains qui n'ont probablement jamais vu un étranger (ni d'ascenseur d'ailleurs), ils nous regardent avec un mélange d'intérêt et de peur. Nous laissons place à la personnalité qui lisait au micro, dommage lui non plus ne parle pas anglais et nous n'en saurons donc pas plus sur qui il est ou pourquoi cet événement... le mystère reste entier !

La partie haute du temple contient encore quatre statues dorées avec des offrandes, nous faisons le tour au rythme imposés par les disciples faute de place, et redescendons par l'escalier de service pour éviter d'attendre l'ascenseur. Nous sommes au 10e étage, on se croirait en train de chercher la sortie de la pyramide comme Astérix et Obélix. Finalement, après un énième tour du bâtiment dans le sens des aiguilles d'une montre pour trouver la sortie, nous nous retrouvons sur le perron au milieu du flot d'hommes et femmes de toute âge marchant autour du bâtiment puis se postant pour recevoir la bénédiction du lama qui se dirige vers la voiture qui l'attend.

Le soleil qui nous avait accompagné de ses rayons durant la lecture des textes bouddhistes a laissé place à un gros nuage gris qui commence à se vider depuis que le saint homme est parti, lien de cause à effet ? Nous nous réfugions à l'abri le temps de l'averse puis, après une dernière session de selfies avec des tibétains voulant une photo des étrangers, nous reprenons la route qui devient rapidement un chemin terreux le long d'une rivière. Il est déjà tard et il devient assez urgent de se trouver un coin de bivouac. Quelques kilomètres après le village, Clarisse nous trouve un beau champ d'edelweiss en hauteur et non inondé. Pas le temps de monter les tentes qu'une averse de grêle nous surprend et se transforme rapidement en petite chute de neige humide. Premier signe de l'hiver. Sur ces hauts-plateaux, à 3500m, il va vite arriver, et nous savons tous les quatre qu'il est temps pour nous de descendre vers des altitudes plus clémentes.

Quelle fin de journée palpitante et inattendue ! Nos compagnons de route sont d'ores et déjà contents de nous avoir suivi. Réveil froid mais étonnement sec : il fait 0°C mais les tentes ont séchées durant la nuit, quelle chance. Nous reprenons notre périple à travers ce hauts-plateaux du nord du Sichuan, espérant rapidement retrouver une route goudronnée. A chaque intersection nous sommes plein d'espoir, mais l'asphalte espérée n'arrive pas, nous poursuivons dans des vallées où seules quelques tentes sont encore installées, derniers bastions de la colonie estivale qui a fuit l'arrivée de l'automne. Les pâturages sont littéralement labourés par les sabots des yacks qui devaient paître par centaines, la terre aura bien besoin de plusieurs mois s'en remettre. Une petite neige se remet à tomber, c'est toujours mieux que la pluie. Nous trouvons une cabane pour déjeuner à l'abri. Ses occupants estivaux sont partis, il ne reste que l'ameublement non mobile et la décoration éclectique : photos de lamas (on peut y reconnaître la « guest star » de la veille) et de joueurs de baskets de la NBA. Un trou dans le toit témoigne du poêle qui est installé l'été mais qui a été emporté.

 Nous grimpons jusque 3700m, altitude que nous ne dépasserons probablement plus jusqu'à la fin de notre périple. C'est avec un petit pincement que je dis adieu à la haute-montagne. Peu après le col, notre piste terreuse laisse enfin place à une route en blocs de béton de la largeur d'un véhicule, nous ne l'attendions plus ! Elle nous permet d'avancer enfin à allure raisonnable. Après plusieurs dizaines de kilomètres de relative solitude, nous arrivons à un village à partir duquel nous quittons définitivement l'ambiance plateau pour nous engager dans une vallée de plus en plus profonde. Nous allons désormais nous abandonner à la loi de la gravité en suivant des vallées, à l'instar des flots tumultueux qui les ont creusées, vers la plaine de Chengdu. Une vallée débouche sur une autre, un torrent alimente une rivière. Nous suivons les ramifications des cours d'eau charriant l'eau de fonte des hauts-plateaux vers la rivière Min qui elle-même finira dans le Yangtzé.

Nous perdons rapidement de l'altitude, alors que les montagnes autour de nous, elles, sont toujours proches des 4000m, nous nous enfonçons donc de plus en plus profondément, la végétation se densifie, sensation d'être dans « Voyage au centre de la Terre ». Nous ne pouvons que contempler le travail de l'eau sur la roche : elle a creusée de profondes entailles au fil du temps. Travail qui se poursuit de nos jours : la violente rivière grignote la vallée, la route part en lambeau par endroits. Avec des parois si abruptes, les glissements de terrain sont monnaie courante, chaque village possède donc son «emergency shelter». Certains sont gigantesques et emportent toute la route sur plusieurs kilomètres, c'est ainsi que nous nous retrouvons à pédaler dans la boue dans un immense chantier de reconstruction d'une portion de route disparue. Il est difficile pour nous d'imaginer comment des gens peuvent vivre dans autant de boue ! Les cochons en liberté, eux, semblent ravis.


 Cette descente infernale vers la plaine, à 500m d'altitude, nous prendra bien 4 jours. Nous sommes encore dans une région tibétaine, le Kham, mais nous sentons que nous la quittons au fil des jours. Chaque jour nous apporte son lot de variété dans l'architecture des maisons ou dans les tenues vestimentaires : les maisons de pierres grises, nous rappelant l'Andorre, succèdent aux habitations de torchis, les femmes se parent de coiffes, d'abord en forme de couronne, plus loin ressemblant à un simple coussin. Il est fort probable qu'avant l'existence de la route, les communications entre les villages étaient faibles, ils ont donc évolués chacun de leur côté . Bien plus haut, accrochés aux pentes recevant plus de soleil que les fonds de vallées que nous suivons, d'autres villages surplombant des cultures en terrasses semblent, quand à eux, toujours reclus et inaccessibles (étant 2000m plus haut, ils le sont en tout cas pour nous à vélo). Nous longeons plusieurs retenues d'eau fermées par des barrages démesurés qui interrompent le cours de la rivière. Son débit doit être terrible à la fonte des neiges.

Nous sommes dans la partie du Sichuan qui fut frappée par un important séisme en 2008, faisant au moins 60000 morts. Avec le relief accidenté de la région et l'instabilité du terrain, on peut imaginer les dommages : des villages entiers ont disparus et ont donc été reconstruit à neuf, des routes ont mis plusieurs années à être réouvertes.

Juste avant Maoxian, nous rejoignons la G213 reliant Lanzhou à Chendgu. Fini la tranquillité des routes secondaires, nous voici sur axe important, qui plus est, pendant les vacances nationales d'automne. Nous qui n'avions été que dans des régions à faible densité, nous découvrons la vraie circulation chinoise, en particulier celle des citadins ne se servant de leur véhicule qu'une fois tous les trente-six du mois. Nous remarquons que 9 fois sur 10 c'est un SUV. Le marché chinois de ces voitures consommatrices et sans aucune utilité pour les citadins est en plein boom.

Notre constat est que les chinois conduisent mal, voire très mal ! La patience qui est censée être une vertu du pays, clairement n'a pas droit de cité au volant : surtout ne pas attendre pour doubler ou ne pas ralentir, klaxonner c'est bien plus simple. On a l'impression que tout leur prend « comme une envie de pisser » : doubler, s'insérer, s'arrêter, téléphoner, ralentir en plein milieu de la route pour filmer, traverser la route... On s'interroge si ce manque de réflexion avant d'agir est lié à la faible liberté individuelle existante dans ce pays où tout est régie par l'état ou de l'éducation « enfant-roi » que les chinois reçoivent dans leur enfance. En tout cas on est plusieurs fois restés ébahis par leur inconscience du danger.

Autant ils ont une certaine considération pour nous autres cyclistes en nous dépassant à distance, autant ils se fichent royalement de ce qui arrive en face ou du moment où ils doublent. La version « pire des cas » donne donc un dépassement en plein virage sans visibilité en empiétant bien sur l'autre voie alors qu'un bus arrive, lui-même lancé à pleine balle avec le chauffeur regardant son smartphone en fumant une clope. Sans trop exagérer le trait. On a eu quelques frayeurs, souvent pour eux mais aussi pour nous qui pourrions être un dommage collatéral. L'autre point notable est leur frénésie du klaxon, dès qu'ils voient un piéton sur le bord de la chaussée, un engin un peu plus lent ou simplement qu'ils dépassent, ils s'en donnent à cœur joie. Ceci dit, voyant comment les conducteurs (et les piétons) se jettent sur la route à une intersection sans même jeter un coup d'oeil à ce qui arrive (sorte de technique de l'autruche « si je regarde pas, on ne voit pas que je fais n'importe quoi »), on peut comprendre qu'ils klaxonnent, mais c'est difficilement supportable pour nos oreilles sans habitacle pour atténuer le bruit. Depuis, nous avons appris qu'en cas d'accident, ils sont en tord s'ils n'ont pas klaxonné, et que durant une époque, un conducteur écrasant un piéton était toujours responsable, ce qui a donné lieu à une vague de piétons de jetant devant des voitures pour toucher des indemnités. Mais malgré tout ça nous nous sentons bien plus en sécurité sur les routes de Chine que celles d'Asie Centrale car les routes sont larges et globalement les conducteurs roulent moins vite.

C'est la fin des congés, les vacanciers convergent vers l'agglomération de Chengdu. Heureusement pour nous la G213 est rapidement doublée d'une autoroute où s'engouffre le gros du trafic. Les derniers bivouacs sur cette route ne resteront pas dans les annales du voyages , mais nous nous débrouillons pas trop mal.


Dernier jour avant Dujiangyan, première ville de la plaine que va croiser notre route. Nous y avons rendez-vous avec Laura et Benoît, nos deux « espérantistes », que nous avions vu pour la dernière fois à Osh au Kirghizistan. Nous passons les 10000 km parcourus à vélo !

Nous empruntons une portion de route toute neuve qui ne figure pas sur nos cartes. La route d'origine semblant avoir été détruite par des glissements de terrain. Un jeune cycliste chinois nous rattrape, il fait Lanzhou-Chengdu pour ses vacances (plus de 1000km en 6j 100% sur la grande route... ça nous paraît une curieuse idée). Il poursuit avec nous en direction de Dujiangyan.

Rapidement nous empruntons un premier tunnel long de plusieurs kilomètres. Il nous semble pas tout à fait fini, il n'y a aucun éclairage, mais en plein milieu dans le noir absolu on croise un ouvrier qui bricole sur une échelle avec une mini-lampe de poche... Heureusement qu'il n'y a pas de voitures. On commence à se demander si la route est bien ouverte ou si elle va finir en cul-de-sac (genre paf le tunnel ne débouche pas...). A peine sortis du tunnel, on rentre dans un autre encore plus long ! Et ce plusieurs fois d'affilé. Au final on fera bien 15km dans le noir total des tunnels à peine ouvert à la circulation, nous sommes bien content de n'avoir eu aucun trafic !


Nous allons plus vite que prévu avec tous ces raccourcis à travers les hautes montagnes bordant la vallée. A midi nous nous arrêtons à Yingxiu pour déjeuner avec notre nouvel ami ne parlant quasiment pas anglais. Le bled est clairement le village étape sur la route de Chengdu pour les vacanciers sur l'autoroute : c'est noir de monde. Les rabatteurs nous hurlent dessus pour nous inviter à nous arrêter dans leur restaurant, ce qui nous fait d'autant plus fuir et nous choisissons le premier restaurant où personne ne nous agresse... perdu ! dans la seconde une chinoise déboule en hurlant comme une poissonnière, on dépose les armes et prenons une table. Nous réalisons en repartant que l'épicentre du séisme de 2008 se trouve dans ce village, d'où l'attrait touristique pour les chinois, ils ont même laissé quelques bâtiments en l'état, tenant debout malgré leurs nombreuses fissures : ça a dû secouer sévère. Nous déguerpissons de ce zoo à touristes au plus vite.


Sur la fin du parcours on commence à sentir la chaleur et la moiteur du climat local. La végétation s'est sacrément densifiée et nous sommes désormais entourés d'une véritable jungle. Les impressionnants bosquets de bambous dépassent de la futaie et, avec leurs extrémités recourbées et touffues, forme des masses me faisant penser à la coiffure de « Tahiti Bob » dans les Simpsons (chacun ses références !). Tout est noyé dans la brume,et l'humidité ambiante nous fait rapidement comprendre comment toute cette végétation se développe. Nous entrons dans le royaume du panda géant... du moins dans ce qui l'était puisqu'il reste très peu de spécimens dans la nature. Les vendeurs de kiwis (pas mûrs du tout, ce qui semble être une constante dans le pays : les Chinois préféreraient-ils les fruits verts ?) on remplacé les vendeurs de pommes des vallées. Un immense pont à travers un lac permet à l'autoroute d'éviter les détours auquel notre route se livre, nous obligeant à remonter plus que nous le voudrions.

Nous arrivons finalement à Dujiangyan, 15 min trop tard pour éviter la pluie. Mais nous sommes ravis de voir les visages souriant de nos amis français pile deux mois après les avoir quittés. Ils nous ont dégoté une auberge de jeunesse bon marché avec de la place pour tous les six, denrée rare en cette période de vacances.

Pour nos retrouvailles nous sortons dîner. Nous sommes enfin dans une région où nous trouvons du riz, pour le plus grand plaisir de Clarisse. Car oui, jusque-là il nous a quasi été impossible de trouver du riz, ni dans les restaurants, ni dans les épiceries. Le plat de base c'était les nouilles de blé. Une idée reçue que nous avions est tombée : toute la Chine ne mange pas du riz ! (Avec la deuxième idée reçue : ils ne boivent pas que du bon thé !)

Nous entrons dans un restaurant où tu choisis des aliments dans le frigo (légumes, viandes, tofu...) et le chef les cuisine chacun comme un plat que l'on mange ensuite accompagné de riz (à volonté). Moment épique. On doit probablement pouvoir choisir le type de cuisson, l'assaisonnement... Mais avec nos trois mots de mandarin c'est impossible, alors on se contente de pointer : une aubergine, des champignons, du tofu fumé, ce truc là dont on sait pas ce que c'est « ah non c'est des abats ! »... Une assiette appétissante de pois cuisinés passe sous nos yeux : « oh et puis ça aussi »... Et la femme, qui nous crie comme toujours dans les oreilles, semble nous dire « et ça ?» en montrant les pommes de terres, « et ça aussi ?» en pointant un bloc ressemblant à du beurre... Nous arrivons à lui faire comprendre que ça nous suffit et elle hurle notre commande à la cuisine pour surpasser le bruit de la hotte si classique de ces gargotes chinoises. On se régale et on découvre le succulent goût du poivre du Sichuan qui agrémente et relève la plupart des plats, notamment le délicieux mapa tofu (tofu dans une sauce épicée).

 La ville est très touristique, notamment pour sa vieille ville (toute neuve) et son systèmes de gestion des crues de la rivière Min datant de l'Empereur Qin (encore lui!). C'est le plus vieux système d'irrigation sans barrage encore existant, le principe est de diviser la rivière en plusieurs bras, l'un large et peu profond, les autres étroits et profond, lors des crues une grande partie de l'eau évite la ville et inonde la plaine alors qu'en période sèche, ce sont les bras alimentant la ville qui gardent le gros du flux. Nous nous baladons dans les ruelles bondées en ces derniers jours de vacances. Malgré la foule, la ville reste très agréable. L'autre attraction de la région c'est le panda géant. Il existe plusieurs centre pour leur rendre visite, le plus gros étant à Chengdu. Un petit centre qui sert de réhabilitation aux pandas revenant de l'étranger (ceux prêtés aux zoos du monde entier) se trouve à Dujiangyan. Nous en profitons donc pour y faire un saut à l'ouverture lorsque les pandas sont nourris de jeunes pousses de bambous, nous sommes seuls, c'est magique de voir ces animaux au comportement si humain lorsqu'ils mangent.


Déjà un mois que nous sommes en Chine, mais encore un mois devant nous ! Nous reprenons la route avec Laura et Benoît direction Ya'an où nous comptons prendre un bus pour le Yunnan, et nous disons au revoir à Andy et Mimi qui vont à Chengdu, peut-être les recroiserons-nous plus au sud !

Toutes les photos ici.

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