top of page

Sakura, konbini et pistes cyclables : de Osaka à Séoul



18 Mars 2019, nous approchons de l'aéroport international de Kansaï, à 40 km de Osaka. Nous avons récupéré Georges qui a passé 3 mois en pension complète à Singapour et avons repassé un weekend avec Aymeric, Laure et Elisa qui a fêté ses 6 mois.

Nous voici au Japon ! Etape non prévue initialement dans notre voyage mais qui s'est ajoutée comme une suite logique avant notre retour. Cette étape devait nous permettre non seulement de découvrir le pays mais aussi d'être la porte d'entrée vers la Russie et un retour via le mythique transsibérien à partir de Vladivostok, accessible en ferry depuis le pays du soleil levant. Finalement les barrières administratives (il nous est possible d'obtenir seulement un visa de transit de 10j pour la Russie, ce qui est bien trop court vu qu'il y a déjà 7 jours effectifs de train), le manque de temps et de ressources pour la fin du voyage nous ont fait abandonner cette idée romantique d'un retour en Europe par le train. Nous irons donc prendre l'avion à Séoul, en Corée du Sud, et nous avons 1 mois ½ devant nous pour y parvenir en traversant les îles japonaises de Shikoku et Kyushu.

La descente de l'avion au dessus de la baie d'Osaka nous offre un premier aperçu du paysage japonais, en tout cas de celui de cette région : les plaines sont envahies par la ville et seules les montagnes, couvertes de forêts, dépassent de cette mer urbaine. Pour sûr le Japon est un pays densément peuplé. L'aéroport a été construit sur un polder dans la baie. Nous devons nous rendre au centre-ville d'Osaka, chez Ryo du réseau Warmshowers qui nous accueille pour nos premiers jours dans le pays. Bien qu'il soit extrêmement facile de se rendre de l'aéroport en ville par le train, nous ne sommes pas tout à fait confiants car on nous a prévenu qu'il peut être compliqué de voyager en train avec des bagages encombrants. Finalement nous le prendrons sans problème avec notre carton de 30kg, 3 sacoches et 2 sacs à dos... heureusement que Ryo habite proche d'une gare, impossible de traverser la ville à pied avec tout ce bardas.


Tant bien que mal et suivant ses instructions, nous arrivons devant sa porte, comme il nous a dit, jamais fermée. Nous sonnons tout de même par bienséance, c'est un jeune homme souriant qui nous ouvre et nous invite à rentrer, tout en nous chuchotant « we are meditating, please join us if you want » (on se sent un peu bête d'avoir sonné!). La séance se termine, « sorry, it is meditation monday » nous dit Ryo, qui nous met à l'aise et nous fait visiter. Comme nous l'imaginions, l'espace est optimisé au maximum dans son petit appartement. Il nous installe le traditionnel futon dans une petite pièce qu'il appelle désormais « your room ». Ryo est professeur d'anglais au lycée et cycliste assidu, il se rend par tous les temps au lycée en vélo, à 30km de chez lui. Sa femme est quand à elle professeur de musique et pianiste, elle se produit dans le monde entier au côté d'un violoniste tchèque, et est par conséquent souvent absente : Ryo en profite alors pour ouvrir sa porte aux gens de passages sur les réseaux Couchsurfing et Warmshowers. Il s'est inscrit sur le premier réseau suite au tsunami de Fukushima dans le but d'accueillir des personnes touchées voulant venir à Osaka. Nous comprenons vite que notre hôte est une âme charitable et une belle personne. Ce que nous découvrirons au fil de la semaine que nous passons avec lui, c'est qu'il est surtout très drôle (voire un peu fou ;)). Il nous propose d'aller manger des sushis, nous sommes bien entendus plus que partant, et nous voilà donc assis dans un restaurant « sushis-belt » où les assiettes de sushis passent devant nos yeux sur un tapis roulant. On se régale et on se marre, ça commence plutôt bien ce séjour !



Durant cette semaine de découverte du Japon, nous passons des moments exceptionnels avec Ryo, entrecoupées de visites touristiques dans les magnifiques et incontournables villes de Kyoto, de Nara et son temple de Todai-ji abritant la plus grande statue de Bouddha du Japon, et bien sûr au centre d'Osaka autour du château et du quartier de Dotonbori, ses enseignes en néons et sa foule du soir.


La région de Osaka-Kobe-Kyoto forme une immense mégalopole, la ville à perte de vue. Mais ce qui est surprenant c'est qu'on ne ressent pas cette infini urbain autour de soi. Hormis les grands axes, les rues sont plutôt calmes, aucun signe de pollution de l'air (si on ne s'arrête pas au fait que nombre de japonais portent des masques), piétons et cyclistes sont légion, les immeubles sont globalement peu élevés... Mais ce qui est le plus flagrant pour nous, c'est le niveau de bruit très faible par rapport à n'importe quelle ville occidentale : les voitures sont toutes hybrides et donc silencieuses à moins de 50 km/h, aucun coup de klaxon ne se fait entendre, personne n'élève la voix, tout le monde traverse au feu vert et dans le calme.... bienvenu au Japon ! L'autre point particulièrement agréable des villes japonaises est la simplicité (même pour les étrangers je vous assure!) et l'omniprésence des transports publics, principalement ferroviaires. Métro, JR line (Japan Rail), Shinkansen (TGV nippon),... sont autant concurrents que complémentaires sur le marché des transports publics, on empruntera l'un où l'autre selon le départ ou la destination, l'heure, si l'on veut un train express ou local... Chaque compagnie a son propre chemin de fer, on peut donc parfois voir quatre séries de rails en parallèle. Le Japon a fait le choix du rail, la Suisse aussi, il est incompréhensible et absurde d'avoir abandonné ce moyen de transport, pourtant si développé en France autrefois, au profit du tout voiture.



Ryo nous accompagne une journée à Kyoto, il nous montrera notamment les rues où vivent maikos et geikos : apprenties et geishas, les gardiennes des arts japonais. Nous aurons la chance d'en croiser une, trottinant dans ses sandales en bois vers le tea-shop où elle travaille. Kyoto encourage par ailleurs les japonais à revêtir leur kimono pour se balader dans la ville et garder ainsi une ambiance traditionnelle (notamment en offrant des discounts sur les restaurants...), et pour ceux qui n'en aurait pas, aucun problème : on en trouve à la location partout dans la ville ! Kyoto est une des seules villes du pays à avoir été épargnée lors de la Seconde Guerre Mondiale, elle a même pendant un temps été dans la shortlist des cibles choisies pour la deuxième bombe atomique, la détruire aurait totalement abattu les japonais (faut-il y voir une forme d'empathie ?). La ville a su conserver son style traditionnel, les constructions même récentes sont très soignées et se conforment au style « Kyoto-esque » comme le qualifie Ryo. Nous aurons aussi droit à un tour de vélo de préchauffe guidé par notre hôte, il s'inquiète pour nous et veux que notre initiation sur les routes japonaises se fasse à Osaka : si on s'en sort dans la ville tout ira bien ensuite d'après lui. Histoire de mettre toute les chances de notre côté, il nous fera tout de même assister à une cérémonie dans un temple Shinto où sont bénis conducteurs et véhicules (plus de 2 millions de véhicules par an tout de même!), avec tout ça rien ne peut nous arriver (inch allah...) !



Avant de reprendre la route, nous avons le plaisir de revoir Laura et Benoît, nos amis espéranto-cyclistes! Le Japon était leur destination mais nous ne savions pas que nous y serions en même temps. Il y a de très nombreux « Esperantistes » au Japon et ils ont beaucoup d'invitations à honorer, ça donnerait presque envie de se mettre à cette novlangue humaniste. Nous nous donnons rendez-vous dans le quartier de Dotonbori, totalement bondé en ce samedi soir de fin du semestre scolaire, nous expérimentons ainsi ce que signifie « la foule » au Japon. Ryo et son voisin Mark nous rejoignent pour l'occasion et nous passons un bon moment de retrouvailles dans un restaurant « mexican food », ce qui, ma foi, n'était « pas banal ».







Lundi 25 mars, c'est avec tristesse que nous quittons Ryo et sa jovialité quotidienne, nous espérons qu'il viendra nous rendre visite en France. Pays qu'il a découvert pour la première fois cette année avec un enthousiasme non dissimulé : « Did you like it ? » « No. I didn't like it. I LOVED it ! ». Il a d'ailleurs passé notre séjour à encenser la débrouillardise des différents hôtes français qu'il a eu (nous compris) « I love my french guests, you are so clever » (parce qu'on a compris comment le four marchait). C'est parti pour 70km direction Watayama et le ferry pour Shikoku. Au menu du jour, quasiment que de la ville ! Après notre baptême du feu avec Ryo, nous nous sentons tout à fait à l'aise sur les routes urbaines japonaises, délaissant les trottoirs qui tiennent en général lieu de piste cyclable (dans les deux sens) pour rouler sur la route. Bon il faut dire qu'après ce qu'on a vécu en Iran, en Asie Centrale, ou même en Chine, la conduite japonaise ne nous impressionne guère, nous sommes même plutôt rassurés de circuler parmi ces automobilistes attentifs et patients. Le Japon est notre premier pays riche du voyage où le vélo est aussi présent. Ici il a toute sa place comme mode de transport urbain. On peut voir autant d'écoliers ou d'étudiants en uniforme, de personnes âgées les paniers pleins de commissions, que de femmes actives transportant jusqu'à trois enfants sur le vélo, chacun dans un siège adapté ! La cohabitation piétons-cyclistes semble tout aussi bonne sur les trottoirs, que celle entre cyclistes et automobilistes sur les chaussées. Nous aimerions tant que la bicyclette gagne une place aussi importante dans les villes de France par ses avantages évidents : efficace, abordable, a faible impact environnemental.... et bon pour la santé ! Les autres pays que nous avons parcourus où elle est très utilisé sont l'Albanie et la Birmanie, pays pauvres où elle s'impose de fait comme moyen de transport populaire.


Nous arrivons pile à l'heure pour le ferry de 16h30 et embarquons illico pour Tokushima sur l'île de Shikoku. Le personnel du ferry prend grand soin de Georges : sangles, cales et protections, il voyage en sécurité ! Le ferry est sans surprise un transport particulièrement répandu dans le pays qui est un archipel composés de 6852 îles (tout de même!), dont les quatre plus importantes sont : Hokkaido, Honsu, Shikoku et Kyushu. Les bateaux sont confortables, avec un grand espace composés de tatamis où les passagers peuvent se vautrer comme bon leur semble après avoir enlevé leurs chaussures bien entendu. Quel plaisir de s'allonger pour 2h de traversée dans cette salle chauffée après une journée de vélo. Nous débarquons du ferry avec les dernières lueurs du jour et avons repéré un petit parc en bord de mer, proche du terminal des ferries, qui pourrait faire l'affaire pour ce premier bivouac japonais. Il n'est jamais très agréable ni sécurisant de camper en ville, mais le sentiment de sécurité qui règne dans le pays nous rend confiant. Nous voilà donc à pauser la tente dans ce terrain vague où il semble que des habitants se soient aménagés un coin pour « chiller ». Le chantier d'un énorme pont se trouve juste à côté, mais par chance, plus de lumière que de bruit ne s'en échappe durant la nuit. Au petit jour nous pouvons constater que nous sommes en fait sur un terrain de cricket – sport national du troisième âge nippon – aménagé par les habitants du quartier.



SHIKOKU


Pour ce début de périple, nous avons choisi de couper à travers la montagne direction Kochi, afin de passer par la vallée de la rivière Iya, réputée pour ses paysages. Nous quittons donc la ville vers l'ouest, et remontons une vallée jusqu'au village de Kamikatsu. J'avais lu quelque part que c'était un village 0 déchets (« Zero waste »), depuis que nous avons constaté l'omniprésence des emballages plastiques dans le pays, nous avions quelques doutes... finalement nous aurons surtout l'impression que c'est un village 0 poubelles vu qu'il nous a été impossible d'en trouver une (après recherche, c'est à la déchetterie de la ville que nous aurions pu apprécier les efforts de la commune pour arriver au 0 déchets non recyclés : tri, trocs, upcycling). Nos amis de Melbourne et de Nouvelle-Zélande nous avaient prévenu : nous qui essayons au maximum de réduire nos déchets et donc de limiter les emballages, nous allions déchanter au Japon. Ils avaient raison, ici tout est emballé, sur-emballé, hyper-emballé et si possible jusqu'au niveau le plus unitaire. On joue aux poupées russes de l'emballage avec chaque produit acheté. Même les fruits sont emballés individuellement ! Le Japon est le champion des plats frais préparés localement mais toujours dans leur belle barquette plastique. Et quand nous avons demandé à Ryo si tout ce plastique était bien recyclé, il nous a répondu, « No, we burn it. We like to BURN everything ! ». Cette adoration, quasi religieuse, pour les emballages découle de l'hygiène extrême des japonais et de leur peur de la contamination de la nourriture. A leurs yeux « un aliment emballé est un aliment propre ». Il est donc très difficile de leur faire changer de mentalité, le Japon est donc un formidable marché pour qui se lanceraient dans les bio-plastiques et autres emballages écologiques. Vu qu'il nous est peine perdu d'essayer d'éviter les emballages, nous nous donnons bonne conscience en refusant les sacs plastiques grâce à notre sésame « hukuro irimasen » (je n'ai pas besoin de sac plastique), toujours très bien accueilli.

Dès les premiers kilomètres, nous pouvons constater qu'il n'y a quasiment aucun déchets sur les bas-côtés de la route ! Des pays traversés, seule la Nouvelle-Zélande peut rivaliser avec ce niveau de propreté des abords des voies de circulation. Mais surtout nous remarquons la passion qu'ont les japonais pour les fleurs et pour les ornements végétaux en général. Ce sont de véritables sculpteurs d'arbres (on connaît tous les bonzaïs, ces arbres adultes miniatures) et on peut souvent voir une branche de pin étirée comme une ombrelle au dessus des portails des maisons. On passe ainsi par des villages où les bords de route sont magnifiquement fleuris par les habitants ce qui rend le parcours d'autant plus agréable.


Nous n'avons pas vraiment choisi notre période pour nous rendre au Japon, mais nous ne pouvions pas mieux tomber. Déjà, c'est la meilleure saison pour visiter le sud qui est totalement invivable l'été : 90% d'humidité et de fortes chaleurs, sans parler des cyclones réguliers. Il nous est presque impossible d'imaginer que le climat tempéré actuel devienne une véritable étuve tropicale dans quelques mois. Mais en plus nous tombons en plein sakura, la fameuse floraison des cerisiers ! Elle se sera fait attendre à Osaka et Kyoto à cause d'un dernier coup de froid. Nous avions dû nous contenter de quelques fleurs éparses sur les arbres les plus en avance et des dernières fleurs des pruniers qui précédent les cerisiers de quelques semaines. Partout nous ne voyions que bourgeons prêts à exploser en couleur au moindre jour de redoux, on sentait l'impatience des visiteurs rêvant de voir Kyoto à son apogée annuelle. Le sakura est extrêmement important pour les japonais, et on trouve sur internet des cartes météo des dates de floraison prévues et effectives tout autour du pays.


Voir Kyoto lors de la floraison est un must, dont les japonais ne se lassent pas, ce qui signifie une affluence monstre et ce n'est peut être pas plus mal pour nous d'y avoir été avant. Depuis que nous sommes sur Shikoku nous profitons pleinement du magnifique spectacle offert par dame nature en ce début de printemps et on ne s'en lasse pas ! On prend alors vraiment la mesure de la chance qu'on a d'être là à cette période.


Nous empruntons de toutes petites routes de montagne pas encore toutes officiellement ré-ouvertes pour la saison estivale, ce qui nous vaut d'être seuls au monde. Nous longeons des rivières cristallines malheureusement trop froides pour profiter de la baignade. Et notre solitude sera récompensée par la vue de quelques animaux endémiques et inattendus. Premièrement le sero du Japon, dont nous n'avions aucune idée de l'existence et restons donc totalement interdits au premier spécimen que nous croisons : « c'est un sanglier ? », « non trop élancé », « c'est un loup ? », « non on dirait plus un mix entre une chèvre et un chamois »... forcément nous ne risquions pas de trouver ! Par chance nous en verrons un second et d'encore plus prêt ce qui nous permettra même de remarquer ses petites cornes. Le sero du Japon est un capriné, c'est un peu leur chamois local et l'animal emblématique du pays. Fortement chassé au début du siècle, il est passé tout près de l'extinction avant d'être protégé, pour le bonheur des générations futures.

Deuxième rencontre de ces montagnes : le tanuki (ou chien-raton laveur). Cet animal assez répandu dans le pays est très présent dans les histoires du folklore japonais et est réputé pour être à la fois espiègle, drôle, crédule et distrait. On retrouve souvent une poterie le caricaturant devant les commerces, leur apportant réussite grâce à huit traits particuliers : un gros ventre (représentant la prise de décisions calme et avisée), un nez proéminent (la confiance), une bouteille de saké (la vertu), une grande queue (force et stabilité), des testicules disproportionnées (succès financier), de grand yeux (symbolisant la clairvoyance et la prise de bonnes décisions), une carapace de tortue (représente la préparation à affronter de mauvaises périodes – la carapace protège des intempéries), un sourire amical (synonyme d'amabilité envers les clients). Je remercie Ryo pour ces explications détaillées. Nous aurons aussi la surprise, partagée, de croiser quelques singes solitaires traversant la route avant de s'enfuir rapidement dans la forêt.


Emprunter des routes fermées réservent parfois quelques surprises ajoutant un peu de piment à nos journées : comme un morceau de route manquant, en plein travaux. Heureusement les ouvriers du chantier nous aident à traverser sur le rebord du mur de soutènement et se remettent au travail séance tenante. Après plusieurs cols et une matinée particulièrement humide, nous entrons par l'est dans la spectaculaire vallée de la rivière Iya, isolée au centre de Shikoku.


La route longe la rivière dans de belles gorges, souvent plusieurs centaines de mètres aux dessus des eaux bleues du torrent. Et toujours les cerisiers immaculés qui ponctuent de tâches blanches les flancs arborés des montagnes. Les forêts sont principalement composées de cèdres, dont la plupart ont été plantés par l'homme. Suite à la Seconde Guerre Mondiale, le Japon avait besoin de bois et pour chacun de ces arbres à croissance rapide planté, on recevait de l'argent. Il y a désormais tellement de cèdres dans tout le pays qu'une majeure partie de la population est devenue allergique à leur pollen ! C'est une des raisons qui poussent les japonais à porter constamment des masques sur le nez et la bouche. Outre ces forêts resserrées de résineux rectilignes, on trouve aussi des bosquets mélangeant bambous et pins, mélange exotique dont nous n'avons pas l'habitude. Ces premiers jours de vélo au Japon se déroulent pour le mieux et voyager hors saison nous permet de camper sur des sites parfaitement adaptés et encore fermés. On ira même jusqu'à mettre la tente à l'abri d'une cabane en bois pour rester au sec.



Juste avant Kochi, principale ville de la côte sud de l'île, nous retrouvons la pluie. Décidément la pluie à vélo ça nous mine vraiment le moral, heureusement jusque là « on a eu de la chance avec le temps ». Doutes sur le programme : s'il pleut comme ça, le camping ne nous dit pas, mais alors pas du tout (nous sommes moins combatifs qu'il y a douze mois...). Nous nous réfugions dans le temple de Kokunbu-ji, numéro 29 sur les 88 temples sacrés que compte l'île. Shikoku, île spirituelle par excellence où se pratique le henro, le pèlerinage des 88 temples, long de 1400km. Véritable chemin de Saint-Jacques de Compostelle nippon, les pèlerins marchent sur les pas de Kobo Daishi, qui atteint l'illumination au cap Muroto-misaki (pointe sud de l'île) il y a plus de onze siècles. Nous observons sous la pluie le petit rituel des marcheurs, forts nombreux, qui atteignent le temple détrempés : purification à la fontaine, prière, actionnement de la cloche... puis passage par « l'accueil » où ils font signer leur livre du pèlerin avec le logo du temple. Tous portent la même tenue (qu'on peut se procurer à la boutique « du parfait pèlerin » de certains temples) : large chapeau de bambou conique, tunique blanche, bâton de marche. Après un souvenir dédicace sur une feuille volante et quelques thés chauds en profitant du wifi gratuit (modernes les temples sacrés!), nous nous décidons à braver l'averse pour rejoindre le centre de Kochi. Le temps de sécher autour d'un plat de ramen (nouilles en soupe façon japonaise) accompagnés de gyozas (petits raviolis) et les nuages s'ouvrent pour faire place à un large soleil réconfortant. Nous nous rendons alors sur la colline de Godaisan, à l'est, qui offre une belle vue sur la ville depuis sont parc en pleine apogée du sakura et où trône le magnifique temple Chikurin-ji (numéro 31). On y rencontre André, jeune français qui réalise le pèlerinage. On l'a croisé qui quittait le temple où nous étions ce matin... à 30 km d'ici. A pieds ce n'est pas la même qu'à vélo : il est exténué et totalement chancelant mais ravi. Le temple est superbe et très différent du précédent. Nous y passons un long moment dans la lumière déclinante du jour.


Mais la réalité nous rattrape, Clarisse a du boulot sur internet pour les Hirondelles... elle prépare son retour. Nous choisissons donc de finir la journée dans un célèbre restaurant américain, pas pour y consommer mais pour y trouver du wifi... l'internationalisation nous sert parfois. Quelques heures plus tard, nuit noire, nous passons au supermarché pour faire les promos des plats frais du jour (tous les soirs, nombre de plats préparés sont remisés à moitié prix et partent comme des petits pains, il faut être à l'affût de l'employé venant coller les étiquettes magiques). Après un festin et son inévitable orgie d'emballages plastiques, nous filons à travers la ville vers l'aire de camping gratuit située en front de mer. Quelques jeunes sont venus passer leur samedi soir à camper ici, nous nous installons rapidement avant de nous endormir sous un ciel étoilé : la pluie est déjà loin.




Réveil sous un beau soleil mais un fort vent d'est... notre cap, espérons qu'il se calme. Mais pour le moment direction le centre-ville pour un peu de repos touristique. Premier stop, Kochi-jo, le château dominant la ville. Son parc et ses terrasses sont magnifiquement ornées de cerisiers, roses et blancs et les habitants de la ville viennent y pratiquer le hanami, littéralement « le pique-nique pour admirer les cerisiers en fleurs ». Nous poursuivons notre excursion par le grand marché qui se tient dans les rues jouxtant le château. Notre premier marché japonais ! Les premières fraises font leurs apparition sur les étales mais côté fruit on y verra surtout des oranges et une sorte de pamplemousse, que nous baptisons pample-orange. Au hasard des rues nous débouchons dans une large rue piétonne couverte, faisant office de galerie marchande format XXL. Nous avons vu ce genre de rue commerciale dans plusieurs villes et nous les trouvons plutôt agréables, on est loin de la galerie de chez Auchan et on peut « magasiner » (comme disent les québécois) à l'abri de la pluie sans pour autant être enfermé. Mais la cerise sur le gâteau de la journée sera la découverte du katsuo-tataki pour notre repas de midi. Ryo nous avait fortement recommandé de ne pas louper cette spécialité de Kochi. Nous nous engouffrons donc dans la halle couverte du Hirome market et jouons des coudes entre les stands et les tables installées au milieu. On remarque une échoppe où il y a une file d'attente bien organisée, comme seuls le maîtrise les japonais. Et on voit bien que les gens attablés dégustent ce que nous cherchons. Nous nous ajoutons à la file et attendons, pas vraiment sûr de comment ça fonctionne, ça crie, ça s'active derrière les fourneaux. Finalement avec mes quelques mots de japonais et ceux d'anglais du serveur on s'en sort, et quelques minutes plus tard, nous salivons devant notre plat. Le katsuo-tataki est en fait de la bonite braisé au feux de bois : l'intérieur est cru et l'extérieur grillé, un vrai délice ! Nous sommes refaits ! Encore une fois merci à Ryo pour ce conseil avisé (de la part d'un végétarien c'est plutôt comique).


C'est le ventre plein et heureux que nous reprenons la route et quittons Kochi en longeant la côte. Le vent ne s'est pas calmé et nous l'avons en pleine face mais notre matinée nous a vraiment mis de bonne humeur alors nous le supportons mieux qu'habituellement. Quand la fin d'après-midi s'approche et la fatigue gagne du terrain, nous pouvons apercevoir sans conviction la route qui monte à flan de colline. Nous trouverons heureusement notre salut au détour d'un virage : un onsen (bain chaud traditionnel japonais). Très répandus dans le pays, ce sont des lieux fréquentés régulièrement par les japonais. On en trouve de toute sorte, naturel ou artificiel, allant du petit onsen intimiste mais vétuste jusqu'au véritable centre thermal toute options s'approchant un peu trop de la piscine municipale en regard de sa fréquentation. Nous rêvions d'en faire un depuis plusieurs jours pour nous délasser des rudes journées de vélos dans les montagnes du centre de l'île, mais aussi tout simplement pour nous laver à l'eau chaude. Il faut préciser que les onsens sont des bains collectifs où tout le monde est nu, hommes et femmes séparés bien sûr. Les japonais apprécient ce moment où chacun est égal dans la nudité, pas de statut social ou hiérarchique, simplement des hommes dans leur plus simple appareil. Nous étions prévenus, ce n'est donc pas une surprise pour nous.Nous étions aussi au courant que les tatouages sont interdits dans les onsens, le tatouage étant au Japon l'apanage des bandits et yakuzas et en général assimilé à un séjour passé en prison. Un écriteau tout à fait explicite et traduit en anglais nous le rappelle à l'entrée, je ferai mon possible pour dissimuler mon tatouage à la jambe. Je ne vais pas me faire discriminer comme ça, moi aussi j'aspire à mon bain chaud ! (Il est intéressant de ressentir ce qu'est une discrimination totalement arbitraire, cela permet de s'imaginer, dans une moindre mesure, ce que les personnes noires pouvaient vivre lors de la ségrégation. Je me demande d'ailleurs si ces règles vont changer avec le débarquement d'innombrables occidentaux tatoués lors de la prochaine coupe du monde rugby). Une fois déshabillé devant son casier, il faut se laver avant de se plonger dans les bassins. Des robinets avec leur pommeau de douche, un petit siège plastique et une bassine sont alignés. Savon et shampooing à disposition. C'est parti pour la douche que j'attends depuis quelques jours, je me récure comme il se doit à côté de quelques cinquantenaires dénudés. Une fois propre, je me trempe jusqu'aux épaules dans le bassin chaud (jamais de cheveux dans l'eau) et je me détends en observant le petit rituel des habitués, qui se plongent quelques minutes, sortent de l'eau, s'assoient sur une chaise à l'extérieur et prennent le frais, retournent dans l'eau, la plupart sans complexe mais certains cachant habillement leur intimité lors des déplacements avec une petite serviette éponge qu'ils gardent en général sur la tête lors des bains. C'est assez marrant d'être tous nus finalement, je suis sûr que cette habitude ne nous ferait pas de mal par chez nous afin de nous rappeler combien nous sommes constitué de manière identique sans artifices derrière lesquels se cacher. Cela est d'autant plus vrai à l'heure où les réseaux sociaux ont une aussi grande importance et où les faux-semblants sont si faciles. Une fois assez bouilli à mon goût, je rentre au vestiaire. On peut s'y raser, se peser (les japonais se pèsent avant et après leurs ablutions).... bref tout est prévu. Je retrouve Clarisse dans le hall, tout sourire. Tous deux propres comme des sous neufs et totalement zens. Pour finir cette belle journée nous faisons un saut au temple qui se trouve à proximité du onsen, le temple numéro 36, Shoryu-ji, que nous atteignons par un authentique escalier entre les cèdres. Nous sommes seuls et profitons de la sérénité du lieu avant de nous trouver un coin de bivouac à proximité, sous un beau cerisier en fleur.



Réveillés par le chants des oiseaux au lever du soleil, soit vers 5h30. C'est un véritable concert et c'est plutôt plaisant comme réveil, sauf lorsque s'en mêle le croassement rauque des énormes corbeaux qui sont légions dans le pays. Nous poursuivons la côte sud de l'île qui prend des airs méditerranéens par endroit, l'eau est très claire, la côte découpée et la route calme... tout ça nous rappelle fortement la Grèce et notamment Lefkada où nous étions au dernier printemps. Les orangers, sont d'ailleurs tout aussi présents sur Shikoku qu'au bord de la méditerranée, manque seulement le parfum de fleur d'oranger qui embaumait l'air tant en Grèce qu'en Turquie pour compléter le tableau.

Le moindre petit port ou hameau de la côte est séparé de la mer par d'énormes murs ou digues anti-tsunami, menace principale des côtes japonaises. Nous ne comptons plus les panneaux indiquant les chemins d'évacuation vers les hauteurs, ni ceux indiquant à combien de mètres au dessus de la mer nous nous trouvons.


Le Japon vit en permanence avec les risques naturels : séismes, tsunamis, cyclones, éruption volcaniques et ce depuis plusieurs siècles. Il est en fait assez incroyable de voir que l'homme est resté vivre sur cette terre qui est pourtant si chahutée par les éléments. Forts des connaissances acquises au fil du temps (et des catastrophes), les habitants sont particulièrement préparés à réagir en cas d'alerte. On nous expliquera plus tard que pour les Japonais seul importe de sauver le maximum de vies, le matériel n'a que peu d'importance et ils sont assez étonnés de voir autant de constructions centenaires encore debout lorsqu'ils viennent en Europe. Tout au long de la côte nous nous étonnerons de ne voir aucune mouette, celles-ci sont remplacées par de petits rapaces qui attrapent les poissons à la surface, et parfois se disputent le territoire avec des corbeaux dans d'impressionnants duels aériens. Nous tirons jusqu'au cap Ashizuri-misaki, où est construit encore un magnifique temple (Kongofuku-ji, numéro 38), sûrement le plus beau de ceux que nous avons visités. La route du cap est nommée la « tsubaki-road », la route des camélias. Mais nous arrivons un peu tard pour leur floraison, seuls quelques arbres ont encore leurs fleurs. La route doit être vraiment magnifique avec sa tonnelle de fleurs rouges qui se détachent tant du vert sombre des feuilles (les daltoniens apprécient probablement moins).


A Tosa-Shimizu nous faisons quelques emplettes puis décidons de rester dormir dans la ville ce qui nous permet de nous faire un petit dîner au restaurant. Nous avons remarqué un parc qui pourrait faire l'affaire pour la nuit, en s'y installant une fois le soleil couché. Nous sommes désormais en pleine confiance et camper en ville ne nous inquiète vraiment pas. En attendant nous profitons des derniers rayons assis sur un quai du port à regarder les bateaux de pêche amarrés et à observer le va et vient des habitants qui font leur marche quotidienne en suivant méticuleusement chaque quai jusqu'au bout. Un homme que nous avons vu passer revient vers nous quelques minutes plus tard avec deux canettes de café chaudes à la main, cadeau spontané que nous acceptons avec plaisir. Nous nous demandons tout de même s'il n'a pas eu un peu pitié de nous. Les canettes proviennent d'un de ces distributeurs qui sont omniprésents au bord des routes du pays, en ville comme à la campagne. On peut y acheter des sodas, de l'eau et des canettes de café noir ou au lait, froides ou chaudes selon la machine (la 1ère fois nous nous sommes demandé si le frigo n'avait pas un problème). On a pu constater que les japonais sont nombreux à s'arrêter pour acheter une boisson et repartir promptement à bord de leur véhicule, trop pressés semble-t-il pour rentrer dans une supérette pourtant si nombreuses. Ah les supérettes, les amies du cyclistes. On les nomme ici konbini (raccourci pour « convenience store ») et on y trouve nourriture, boissons, toilettes, magazines, distributeur de billets, photocopieuse, machine à café, distributeur d'eau bouillante, poubelles de tri (et on en profite car les poubelles sont rares dans le pays !) et en général wifi gratuit. Elle ont souvent un espace pour s'asseoir et manger. Bref un véritable caravenserail pour cycliste en quête d'une pause. Nos en-cas préférés : les pains vapeurs à la pâte de haricots rouge (anko), les mochis (boules de gluten de riz à la texture rigolote souvent fourrées au anko), les onigiris (triangles de riz fourrés à différentes choses et entourés d'une feuille d'algues. C'est bon marché, délicieux et nourrissant ! On ne s'en lasse pas.


Le soleil est couché, direction le restaurant. Après un délicieux okonomiyaki (sorte d'omelette japonaise à base de chou) et un agréable moment au chaud, nous retournons à notre parc où nous posons la tente discrètement à quelques dizaines de mètres d'un groupe en plein pique-nique sans qu'ils ne se doutent de rien et nous nous réveillons au petit jour avant que les vieux japonais (très) matinaux ne passent pour leur promenade rituelle.


5 avril, dernier jour sur Shikoku... enfin c'est ce que nous pensions. Nous suivons toujours la côte par les petites routes jusqu'à Sukumo où nous voulons prendre le ferry pour Kyushu. Arrivés sur place, il faut se rendre à l'évidence, le ferry ne fonctionne plus. Son état nous avait mis la puce à l'oreille, les panneaux en japonais sur le guichet (savamment traduits par google translate) confirmés nos craintes et le magasin de pêche attenant au port apporta le coup de grâce : « no more ferries ». Perdu. Bien sûr ce n'était pas écrit sur le site internet en anglais. Nous devons donc aller jusqu'à Yawatahama, 100 km plus au nord. Pour ne pas perdre trop de temps, nous repartons sur le champ et parcourons 20 km supplémentaires avant de nous arrêter à l'entrée de Ainan. Clarisse a repéré un complexe sportif qui pourrait nous offrir quelques espaces verts où poser la tente. Dès lors nous chercherons toujours les complexes sportifs lorsque nous devons camper à proximité d'une ville car Ils offrent des avantages certains : toilettes et eau à disposition, personne le soir et la nuit, des terrains herbeux plats et entretenus... un vrai « camp spot » comme on les aime ! Nous grimpons la colline recouverte de cerisiers blancs au plus fort de leur floraison, de nombreuses lanternes ont été installées pour les hanamis nocturnes. Un groupe venant justement pour profiter de la soirée nous oblige à pousser un peu plus loin pour être tranquilles et nous finissons tout en haut de la colline : toilettes, robinet, kiosque couvert et vue sur la ville. Personne ne viendra nous déranger, on est au top. Décidément on s'en sort vraiment bien avec les bivouacs depuis le début de l'étape japonaise, pourvu que ça dure.

Belle nuit au calme et réveil à admirer une fois de plus les magnifiques cerisiers. Aujourd'hui nous espérons arriver à destination afin de prendre le ferry dès le lendemain matin. Les jours passent et nous voulons avoir du temps pour Kyushu, d'autant que nous espérons y faire une journée de pause rapidement, ayant contacté plusieurs hôtes sur Warmshowers.

Pour aller plus vite, nous restons sur la grande route qui tire tout droit et évite les replis de la côte. Le type de routes que nous avons évité jusque là car bien plus fréquentées et moins touristiques. Nous avons pu constater qu'au Japon, dès qu'on sort des grands axes on a la paix du Christ et même les petites routes sont très bien entretenues. Nous serons d'ailleurs surpris par la qualité des infrastructures avec notamment la présence de mirroir à quasiment chaque virage sur les routes sinueuse ! Les japonais mises sur la sécurité. Aujourd'hui nous avons droit à un belle série de tunnels coupant les plissements de la montagnes toute habillée de cultures d'orangers. Passé une certaine longueur les tunnels sont toujours adaptés aux cyclistes et piétons : galerie parallèle dédiée ou trottoir très large. Tant mieux car lorsque nous partageons la chaussée, nous pourrons constater que les conducteurs de camions sont de loin les plus dangereux et les plus irrespectueux pour les cyclistes, comme dans de nombreux pays... Nous arrivons à Yawatahama fatigués mais heureux d'avoir atteint notre objectif, que nous fêtons dignement par un onsen bien mérité ! Celui-ci est particulièrement bien équipé avec, en plus des bassins habituels, un sauna et une salle de repos où nous pouvons nous détendre tout en profitant du wifi. Nous y attendons la nuit afin de jeter la tente de nouveau dans un parc : le premier ferry part à 6h du matin.


KYUSHU


Petite nuit, nous nous levons avant 5h pour être sûr d'avoir le ferry. Encore une fois il est super confortable et, qui plus est, quasi-vide. Nous nous installons sur un espace de tatamis. Notre traversée ne sera troublée que par les ronflements d'un autre passager. Débarquement sur Kyushu sous un beau soleil, il est encore tôt et nous avons donc la journée devant nous. On quitte Usuki direction ouest pour rejoindre la région du mont Aso. Un des warmshowers contactés accepte de nous accueillir le lendemain, nous en profiterons pour enfin faire cette journée de repos que nous attendons tant mais que nous repoussons faute de lieu approprié. Cela fait déjà 13 jours que nous pédalons quotidiennement et la fatigue se fait vraiment sentir : le genou de Clarisse couine et les petites engueulades deviennent très fréquentes.

Treize mois que nous sommes collés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, on commence à avoir besoin d'un peu d'air, c'est bien normal. Dans la vie quotidienne il est bien rare de passer autant de temps ensemble ! Par ailleurs la chute en Chine a fortement entamée la confiance de Clarisse à vélo et elle me reprend souvent sur ma conduite, ce que j'ai du mal à accepter et nous mène donc fatalement à la querelle passagère. Entre peur de la chute, genou douloureux et apparition récente d'un mal de dos, le voyage à vélo lui devient bien moins plaisant. Bref il est temps de rentrer. Une guinguette vendant des légumes frais nous interpelle, nous nous y arrêtons faire le plein. Les dames qui tiennent boutiques nous offrent leur plus grand sourire puis un verre de thé et des patates douces grillées, un vrai régal ! Leur amabilité nous réconfortent et nous sauvent de notre humeur un peu morose. Ce soir là, malgré un magnifique site de camping au calme en bord de rivière et planté de cerisiers magnifiés par leur floraison, nous retombons dans nos querelles et nous endormons fâchés... pile sous le seul lampadaire que nous n'avions pas vu avant qu'il ne s'allume. "C'est le lampadaire qui fait déborder le vase !".

Au moins un point positif : il fait super beau et chaud en ce moment. Le printemps bat son plein dans ce coin du pays. Mais côté route, ça ne va pas être de tout repos : il faut grimper de près de 800m pour rejoindre les abords de la caldeira de Aso-san. Après quelques heures déjà difficiles, nous faisons une pause en bord de route pour soulager le genou de Clarisse, trois fillettes nous voient, nous saluent et nous offrent les morceaux de poulet pané qu'elles transportaient. Était-ce leur déjeuner ? Nous n'en revenons pas, les Japonais sont vraiment les champions de la générosité, et dès le plus jeune âge ! On se régale et ça nous redonne des forces pour tenir jusqu'au déjeuner.



Nous poussons jusqu'au plus près de la caldeira, avant que la route ne descende à l'intérieur, 400m plus bas. Nous voulons suivre vers le sud en restant sur le bord du rempart de cet immense trou de plus de 130km de diamètre, au centre duquel trônent les cônes volcaniques du Mont Kijima, du Naka-Dake, Taka-Dake (point culminant à 1592m) ou encore du Neko-Dake, le plus excentré.... Aso-San est le plus grand volcan du Japon et sa caldeira une des plus vastes du monde. Plus de 100000 âmes vivent dans ce véritable îlot agricole au milieu des montagnes, bien qu'ils ne soient pas à l'abri d'une éruption cataclysmique. Le volcan n'est que partiellement endormi et les fumerolles du Naka-Dake le rappelle à tous, la dernière éruption majeure ne date que de 2016. Juste avant de bifurquer vers le sud en direction du Neko-Dake, nous tombons sur un agréable restaurant où nous nous envoyons un énorme bol de nouille de sarrasin (soba) en soupe. Repue, Clarisse s'endort comme une souche dans le calme du restaurant dont les propriétaires seront très impressionnés par notre périple et par le tandem : on n'en voit pas ou peu au Japon.



Avec notre vocable nippon limité, nous résumons notre trajet à « Furansu -Singapore jitencha (vélo), Singapore-Osaka plane, Osaka-Shikoku-Aso jitencha »... puis « Aso, Kagoshima, Nagaski, Fukuoka, ferry, Korea, Seoul, Furansu » le tout accompagné de geste plus ou moins explicites. Malgré la barrière de la langue très présente (les Japonais parlent peu ou pas anglais... et nous quelques mots seulement de japonais), nous arrivons toujours à nous faire comprendre car les Japonais interprètent facilement notre manière de mimer les choses, à la différence des Chinois qui nous regardaient avec des yeux ronds. C'est très surprenant du fait de l'éloignement de nos langues et cultures mais il nous semble qu'ils aient la même manière d'imager ou de conceptualiser les choses. Nous laissons nos restaurateurs et empruntons une petite route qui passent entre des collines soit dorées par les foins roussis au soleil soit totalement noircies par le brûlis. La route nous offre la vue que nous espérions : s'étendant vers le nord et l'ouest en contrebas, au pied des murs de roches, la ville de Aso, et au sud la barrière formée par les cônes volcaniques. Le spectacle est grandiose et le petit voile de brume, bien que limitant la portée du regard, rend la photo plus magique encore dans la lumière du soleil descendant.

Nous contournons le massif montagneux et descendons enfin vers Minami-aso (Sud Aso) et la maison de nos hôtes du jour. Jonathan est belge et Chiyo japonaise. Ils ont récupéré la structure d'une ancienne grange sur le point d'être détruite et se sont construits une superbe petite maison en bois sur un grand terrain entouré de forêts sur lequel nous plantons la tente. Vie simple et auto-suffisante grâce au potager et au business de Chiyo : la production de cookies et de beurre vegan (i.e sans produit animal, très tendance actuellement). Jonathan est au Japon depuis 9 ans, il a obtenu une bourse du gouvernement pour venir étudier le japonais, il n'est pas reparti. Il maîtrise du coup parfaitement la langue et ses subtilités (notamment la distance que les interlocuteurs peuvent choisir en utilisant un discours plus ou moins indirect) et nous explique beaucoup de choses sur la vie dans ce coin si particulier de l'île, son intégration, leur installation ici après avoir travaillé à Tokyo. Nous passons un excellent moment en leur compagnie qui s'achève par un délicieux dîner préparé par Chiyo et un gâteau au chocolat réalisé par Clarisse, accompagné de nos premières fraises ! L'occasion de partager, enfin, la bouteille de Bordeaux achetée à l'aéroport de Singapour pour Ryo... qui ne boit pas d'alcool et que nous trimballons depuis 600km.

Après cette journée de repos forte agréable et sous un grand soleil, nous quittons la caldeira par l'ouest, empruntant la seule brèche creusée par l'érosion dans les murailles de roche volcanique. Une petite trentaine de kilomètres, en pente douce, nous séparent de notre prochaine étape Kumamoto. Courte étape et nouvel hôte pour les deux soirs qui viennent et qui s'annoncent pluvieux, autant en profiter pour prendre un jour de repos supplémentaire. Takuya nous a donné son adresse et laisse toujours la porte de son studio d'étudiant ouverte, ce qui nous permet d'aller poser nos affaire et Georges avant de partir en vadrouille. Nous nous rendons directement voir l'attraction principale de la ville, le magnifique château qui domine le centre. Malheureusement il a été très sévèrement touché par un tremblement de terre de magnitude de 7 sur l'échelle de Richter en avril 2016 et il faudra encore des années avant qu'il soit de nouveau ouvert aux visiteurs. Nous pouvons néanmoins en faire le tour et avoir ainsi un aperçu de la splendeur de l'édifice mais aussi des dégâts qu'il a subit. Takuya est étudiant en pharmacie et il passe de très longue journée à l'université, ce qui ne l'empêche pas d'accueillir les cyclistes de passage dans sa modeste chambre. Nous sommes vraiment touchés par sa confiance, nous laissant être chez lui sans même nous avoir rencontré. Nous lui sommes d'autant plus reconnaissant que nous nous couchons à l'abri en entendant le déluge passer sur la ville. Il finira son travail en laboratoire autour de 23h ce soir là, et nous attendrons donc notre seconde soirée chez lui pour faire sa connaissance. A 19 ans il a parcouru la fameuse route 66 à vélo, nous sommes admiratifs de son courage d'avoir entrepris un tel voyage aussi jeune, d'autant qu'il ne parlait pas anglais en partant. Il nous emmène dîner un plat de ramens, dont les étudiants en sont de grands consommateurs.


Au matin nous pouvons constater que le vent et la pluie ont précipité la fin du sakura dans la ville. Le parc jouxtant l'immeuble de Takuya, si majestueux à notre arrivée, présente désormais les stigmates de la perturbation, les pétales de cerisiers jonchent le sol et se déplacent au grès des bourrasques formant des vagues roses. Nous sommes prêt à repartir sur la route et chargeons Georges en répétant notre rituel quotidien, sacoches arrières, sac sur le dessus, sacoches avant... C'est au moment d'accrocher la dernière que je remarque un trait noir surprenant sur la fourche. L'acier est brisé net et ne tient plus que par quelques millimètres ! Nous n'en croyons pas nos yeux et n'avons jamais envisagé que ça puisse arriver avec un cadre de cette qualité. Comment cela a-t-il pu apparaître d'un seul coup ? Nous n'avons rien vu en nous arrêtant 48h plus tôt. Nous ne comprenons pas non plus pourquoi ça a cassé ici, au Japon, alors que les routes sont excellentes puisqu'elle a tenu le coup en Asie Centrale, au Myanmar... Georges était-il jaloux des cicatrices iraniennes de Bob ? En tout cas c'est une chance inouïe que ça n'est pas cassé en roulant, je n'ose pas imaginer ce qui se serait passer. Pas d'autre choix que de faire réparer avant de quitter la ville. Nous contactons Jonathan, grâce à ses contacts il nous trouve illico l'adresse d'un atelier de ferronnerie proche de notre localisation. Nous nous rendons sur place, le papy qui tient boutique nous attendait, il observe la cassure et nous fait signe qu'il peut ressouder (sans lunettes, à l'ancienne !), ouf, on peut finir le voyage ! Nous nous sommes surpris d'être restés aussi détendus face au problème, le voyage nous a-t-il finalement appris à gérer l'inattendu ? (étant un véritable « control freak », ce serait plutôt une bonne progression !).

Et c'est avec seulement 2h de retard et une belle boursoufflure sur la fourche de Georges que nous quittons la ville plein sud. Le genou de Clarisse est toujours fébrile malgré les jours de repos, il va falloir composer avec jusqu'à la fin. Nous choisissons donc l'itinéraire le plus plat possible. Une seule vallée permet d'éviter les montagnes barrant le sud, s'y écoule une large rivière avec une route chaque côté et le chemin de fer qui saute régulièrement d'une berge à l'autre. Seule l'autoroute et son cortège de tunnels et de ponts n'est pas contrainte à emprunter ce corridor naturel. Nous arrivons à couvrir près de 70km malgré notre départ tardif avant de nous arrêter pour un bivouac malheureusement plus bruyant que prévu.


La route est dédoublée et nous pouvons donc trouver un itinéraire calme et vraiment agréable jusqu'à Hitoyoshi mais ensuite nous n'avons d'autre choix que de grimper par la route principale. Je ne suis vraiment pas tranquille à 5km/h avec les trop nombreux camions qui montent à toute allure, c'est de loin la route la plus stressante que nous ayons empruntée au Japon. A bout de nerfs, nous atteignons le col et pouvons enfin attaquer la descente avec la vue sur les Mont Kirishima, notre objectif du lendemain, barrant l'horizon et dominant la ville d'Ebino. Clarisse nous dégotte encore un super complexe sportif pour planter la tente, et nous profitons du coucher de soleil en regardant passer les joggeurs qui ne s'aperçoivent pour la plupart même pas de notre présence, puis nous endormons éreintés par cette journée. Un bol de riz et haricots rouge sucrés – remplaçant sans regrets le porridge d'avoine qui a accompagné trop de nos réveils depuis douze mois – et nous nous lançons à l'assaut du volcan. Assez rapidement un panneau semble indiquer que la route est plus ou moins fermée, pourtant l'accès n'est pas totalement bloqué et nous voyons quelques véhicules s'y engouffrer. Un cycliste local nous dépasse et nous dit qu'il continue malgré le panneau, ce qui nous met en confiance : nous poursuivons aussi. La montée est très calme, la route serpente dans la forêt en gardant une pente raisonnable et nous progressons bien. Mais cela reste difficile pour Clarisse, malgré la faiblesse de son genou elle n'a pas voulu que nous changions nos plans : elle veut vraiment voir ce qu'il y a sur le haut de cette montagne. Après 15km et 800m de dénivelé, tout juste 200m sous le col, la sentence tombe : la route est complètement fermée juste après un point de vue (où se rendait les voitures). Ce n'est pas la première route fermée du Japon que nous empruntons mais là nous sommes sur un volcan et c'est peut-être pour une bonne raison ! Nous cherchons sur internet et trouvons finalement un site en anglais sur la situation des routes du massif : un périmètre de sécurité d'1km a été mis en place autour d'un cratère en pleine reprise d'activité. Excès de confiance et erreur de débutants, nous aurions dû vérifier avant car seule notre route est fermée, la tuile. Si prêt du but c'est vraiment rageant. Nous nous voyions déjà pique-niquer au sommet puis entamer la descente vers un onsen bien mérité sur le versant sud, réputé pour ses sources chaudes. Au lieu de ce programme alléchant, nous voilà à redescendre versant nord et à devoir contourner toute la montagne.


Nous ne verrons donc pas les Mont Kirishima. Heureusement, nous dégotons tout de même un petit onsen sans prétention pour soulager nos jambes fatiguées par l'ascension avortée. Et nous terminons la journée par une classique soupe de nouilles cuisinée au réchaud au bord d'un terrain de sport qui accueille, encore une fois, notre tente pour la nuit.


14 avril. Nous rejoignons la ville de Kagoshima, point le plus méridional de notre périple nippon. A partir de là il nous faudra remonter vers le nord, vers le ferry qui nous amènera en Corée du Sud. Nous sommes de nouveau rattrapés par la pluie mais nous avons là encore anticipé et trouvé quelqu'un pour nous accueillir. Ce sera notre premier hôte du réseau Couchsurfing, communauté bien plus connue et répandue que Warmshowers car non réservées aux seuls cyclistes. Nous passons un soirée sympathique dans cette famille japonaise parlant un peu anglais, dont le mari est fan des films de Léo Carax. Nous faisons le tour de tous les animés (dessins animés japonais) que nous connaissons grâce au club Dorothée. Une machine de linge, une douche chaude, un délicieux curry japonais pour le dîner et un confortable futon à l'abri pour la nuit : un vrai luxe pour nous. Bien que nous nous sommes aguerris à l'hospitalité locale, Il y a toujours une sorte de gêne de notre côté lorsque nos hôtes ne parlent pas très bien anglais ou qu'ils n'ont pas vraiment l'habitude de recevoir des étrangers. Mais nous recevons leur aide avec humilité et joie et tentons au maximum de ne pas trop les déranger. Les japonais mangent plutôt des petites quantités, nous en faisons l'expérience et nous restons sur notre faim autant pour le dîner que pour le petit déjeuner.. Cette expérience nous confortera dans notre préférence pour contacter des warmshowers car on se comprend mieux entre cyclistes et les hôtes de ce réseau sont plus habitués aux besoins que peuvent avoir les voyageurs à vélo.

Tempête de ciel bleu au réveil, la journée s'annonce magnifique . Nous démarrons par un complément de petit-déjeuner sur le port puis nous montons vers un belvédère d'où nous pouvons apprécier la vue sur le Sakurajima, l'immense volcan qui toise la ville depuis l'autre côté de la baie. Il est toujours en activité et fume en permanence. Lorsque le vent envoie le panache en direction de la ville, il pleut des cendres. Selon l'intensité des émanations cela peut se transformer en véritable brouillard, pas le meilleur jour pour étendre son linge ou faire du jogging ! Heureusement les prévisions météo locales alertent sur le niveau de nébulosité prévue dans la ville. Le volcan était une île jusqu'à ce qu'une éruption massive en 1914 ne la rattache à Kyushu, formant ainsi une presqu'île clôturant quasiment la baie. Nous sommes vrament ébahis de voir la densité de population dans ces zones à risque, les japonais sont vraiment résignés pour continuer à vivre dans le giron de ces monstres. Traînant sur le point de vue, Georges attire l'attention des badauds et touristes présents. Nous ferons ainsi connaissance avec un japonais d'une soixante d'années qui a passé 3 ans à voyager en vélo autour du pays. Il est donc très intrigué par le tandem et nous mitraille de photos avec sa tablette. Dommage qu'il ne parlait pas anglais car il avait l''air d'être un sacré personnage, à la fois maître-sushis dans son restaurant et artiste talentueux réalisant des kirigamis, l'art traditionnel japonais du découpage du papier. Puis nous discutons un long moment avec un jeune couple d'italiens en vacances, les occasions de rencontrer des occidentaux étant finalement assez rares dans cette partie du Japon. Le voyage à vélo attise leur curiosité, peut-être que nous leur donnerons envie de partir à leur tour dans le futur.


Prochain objectif : Nagasaki. D'ici là environ 250km soit 4 à 5 jours de route le long de la jolie côte ouest et ses îles obligeant à quelques traversées en ferry. Les flancs ensoleillés de la côte sont, à l'instar de Shikoku, parsemés de cultures de pample-oranges. Certains arbres croulent sous les fruits parfois gros comme des ballons de couleur jaune semblables à des lanternes. Les japonais ont une préférence notoire pour les gros légumes et les gros fruits, pour cela ils vont parfois éclaircir au maximum les cultures pour ne garder que le meilleur, on comprend ainsi leur prix parfois exorbitant (2€ la pomme, ça fait mal). La première île que nous traversons, Nagashima, est spécialisée dans la culture de la pomme de terre. Jusque là nous avions vu quasi exclusivement des cultures d'oignons, mais ici les terrasses sont dédiées à la patate. Nous pouvons apprécier toutes les étapes de la récolte au fil de notre route : de la machine qui arrache les tiges laissant la terre à nue, au motoculteur déterrant les tubercules qui sont alors mis en caisse à la main par une armée d'ouvriers de tout âge qui nous observent passer avec de grands yeux lors de leur pause. Nous profitons d'un champs déjà récolté pour glaner notre repas du soir, au menu : patates nouvelles de Nagashima sautées. Repas que nous nous mijotons en bord de mer avant de nous coucher bercés par le ressac. Ferry, traversée de l'île de Amakusa d'un bout à l'autre sous une grisaille terne, nouveau ferry, et nous attaquons la péninsule de Shimabara dominé par, je vous le donne en mille, un volcan : le Unzen-dake. Comme tous ses petits copains de la région, il est encore actif et à causé la mort de 43 journalistes et scientifiques en 1991, l'accès à son cratère est donc interdit. Nous dénichons un bivouac magnifique à côté d'un terrain de baseball niché sur un promontoire au dessus de la côte. (Nous ne comptons plus les terrains de baseball que nous avons pu croiser, les japonais sont totalement fans de ce sport). L'atteindre nous oblige à une belle grimpette bien raide mais le jeu en vaut la chandelle et nous avons droit à un magnifique coucher de soleil entre les cerisiers dont les feuilles vertes remplacent peu à peu les fleurs blanches : le sakura est définitivement terminé.

Dernière étape avant Nagasaki. Notre route nous amène à Unzen où les fumées s'échappant des immeubles comme des bouches d'égouts témoignent de l'activité géothermique du sol. La ville compte des dizaines de Onsen et on s'octroie une pause avec petit bain de pieds bouillant. L'eau de pluie chauffée par les couches de magma arrive en surface à une température supérieure à 100 degrés (du fait du chlorure de sodium présent). Gare aux brûlures ! 15Km avant Nagasaki, nous passons une magnifique baie où l'eau bleue translucide baigne une plage aménagée et nous invite à faire une halte. Les infrastructures et le calme du lieu en fond un lieu de bivouac idéal, nous n'irons donc à Nagasaki que le lendemain, pour le moment c'est détente et bain de soleil. Au crépuscule, la lune quasi pleine nous gratifie de sa présence au dessus des îlots faisant face à la plage et le cône du Mont Unzen à l'horizon complète le tableau. Quelle chance nous avons. Un gardien du parc vient voir ce que nous fabriquons et repart rassuré en voyant que nous avons un réchaud et donc ne faisons pas de feu (heureusement qu'il n'a pas vu le spectacle pyrotechnique de l'allumage!).


Un petit col nous sépare de la ville, construite au bord d'une rade entourée de collines. Cette géographie particulière et protégée lui a probablement valu d'être choisie par les marchands Portugais puis Hollandais comme port de commerce dès le 15e siècle. Ils y apportèrent la religion chrétienne, d'abord acceptée avant d'être interdite par les souverains locaux s'inquiétant pour leur pouvoir.

Nagasaki, ville historique, fut le seul point de contact avec le monde extérieur pendant la période d'isolationnisme du Japon. En 1641 , le shogun (souverain japonais) banni tous les étrangers du pays, à l'exception de Dejima, minuscule île artificielle désormais au cœur de la ville de Nagasaki, où étaient littéralement parqués les quelques ressortissants hollandais encore autorisés à commercer. Ce petit comptoir constitua l'unique présence étrangère jusqu'en 1850 et la réouverture du pays sur le monde. Cette influence européenne confère à la ville un charme particulier mélangeant culture et architecture occidentale et orientale (jusque dans la tradition culinaire).


Hormis la concentration d'églises, certains quartiers ont gardé leur héritage européen comme les « Dutch slopes », rues pavées grimpant à flanc de collines où ont été restaurées quelques maisons de bois au style colonial du 19e, jadis nombreuses. Mais la ville a toujours été très cosmopolite et on trouve le quartier animé de Shinchi Chinatown et ses innombrables restaurants à quelques centaines de mètres de Dejima. Nous démarrons notre visite de la ville par le magnifique temple de Suwa-jinja que l'on rejoint par une succession d'escaliers. En remontant la colline plus encore, vers ces quartiers en étages desservis par un dédale d'escaliers étroits, nous découvrons un point de vue sur la rade et l'immense pont la traversant. N'ayant rendez-vous avec notre hôte qu'en fin de journée, nous poursuivons la visite de cette partie sud de la ville, le canal Nagashiwa-gawa et ses ponts en pierre du 17e siècle puis les quais noyés de soleil du Seaside park où de gigantesque voiliers russes d'époque sont en démonstration. L'atmosphère nous plaît et nous sommes heureux d'y faire une pause touristique sous ce soleil printanier.


En fin d'après-midi, nous rejoignons Amr, jeune égyptien préparant un doctorat sur les énergies renouvelables. Il est très enthousiaste à l'idée de nous rencontrer du fait de notre voyage, ça tombe bien nous aussi car un égyptien au Japon, ça ne courre pas les rues ! Il nous expliquera que les universités japonaises offrent des bourses pour que les étrangers viennent y réaliser leur doctorat. Principalement car elles espèrent ainsi améliorer leur place dans les classements mondiaux des universités, classement basé sur le nombre de publications en anglais produits par les chercheurs de l'établissement. Il nous confiera qu'il s'ennuie un peu à Nagasaki qui est une petite ville et que bien sûr la barrière de la langue freine les rencontres. Heureusement son voisin Amar, lui algérien, est dans la même situation que lui et leur langue et culture arabe commune leur permet de garder quelques repères. Amr nous accueille dans son studio d'étudiant tout comme Takuya à Kumamoto, nous sommes une nouvelle fois touché par l'accueil et la générosité de ce jeune homme qui n'hésite pas à laisser son lit aux voyageurs que nous sommes bien que nous tentons de le refuser. Nouvelle belle rencontre de ce voyage. Nous partageons un agréable dîner avec son amie Yuka, japonaise parlant un anglais impeccable, nos histoires leurs donnent des envie de camping et de sorties à vélo, nous sommes heureux d'être une source de motivation. Amr nous dira qu'il trouve finalement sa vie assez banale après nous avoir rencontré, nous le rassurons que c'est loin d'être le cas et que partir étudier trois ans au Japon est déjà une sacrée aventure (dont nous n'aurions probablement pas eu le courage).

Un séjour à Nagasaki ne serait pas complète sans la visite des sites et du musée commémorant le tristement célèbre 9 août 1945. Ce jour-là, à 11h02 précise, la deuxième bombe atomique américaine, Fat man, a explosée à 500m d'altitude au dessus de la partie nord de la ville, réduisant instantanément à néant le quartier de Urakami et tuant 74000 personnes sur les 240000 que comptait la ville. Nous passons par la cathédrale d'Urakami, totalement reconstruite, qui était en 1914 la plus grande église d'Asie. Seules quelques statues ont résisté et portent désormais les stigmates de l'explosion. Le musée a vocation d'expliquer les effets de la bombe et à immerger le visiteur dans les décombres de la ville après sa destruction. L'ambiance est particulièrement soignée, le visiteur est tout de suite accueilli par le tic tac d'une horloge rappelant une bombe à retardement , alors qu'il découvre le premier objet exposé : une horloge retrouvée dans les décombres et arrêtée sur 11h02 précises. De nombreux objets ou vestiges ont été regroupés : structures en métal déformées par le souffle, bouteilles en verre fondues ou tuiles déformées par la chaleur de l'explosion. La température a atteint près de 4000°C près de l'épicentre et encore 600°C 1,5 km plus loin, réduisant corps et constructions à l'état de cendre. Le rayonnement calorifique a été d'une telle intensité qu'on peut observer des ombres inversées entre partie exposées ou non des bâtiments, tels des coups de soleil. Une photo montre ainsi « l'ombre » d'une échelle et une silhouette humaine sur une façade en bois, seule traces restantes de leur présence. Nagasaki reste traumatisée à jamais par cet événement dont les parents d'habitants actuels ont été contemporains. Avant de terminer la visite, une maquette montre combien il existe encore de bombes aujourd'hui et, bien que les Etats-Unis ou la Russie méritent largement leurs sinistres places de leaders, la France n'est pas en reste avec ses 300 têtes nucléaires... Nous ressortons pensifs et marqués par cette immersion dans la désolation post-nucléaire et nous comprenons la volonté des japonais à partager leur vécu afin que cela ne se reproduise pas.


our ce deuxième soir à Nagasaki, nous testons une Izakaya, lieu de restauration typique où on se rend à la fois pour boire et manger. Celle-ci est spécialisée dans les gyozas. Une bière, un verre de sake et une trentaine de gyozas, « Itadakimas ! » (équivalent de bon appétit en japonais, formule toujours hurlée dans les mangas animés avant que le personnage n'engloutisse un bol de ramen). Nous nous régalons tandis que nos voisins, un peu éméchés, parlent forts et rient aux éclats. Alors qu'un plat arrive à leur table, ils nous le font passer : ils ont commandé pour nous ! On est confus, surtout qu'ils quittent les lieux peu après car ils ont terminés. Générosité japonaise toujours, encore accentuée après quelques verres.

Il est l'heure de quitter notre hôte et lui souhaitons de la réussite dans ses études et dans sa vie japonaise. Nous remontons la péninsule de Saikai le long de la baie de Omura, véritable mer intérieure connectée à la mer de Chine par un étroit chenal naturel. Nous nous arrêtons au supermarché pour notre déjeuner lorsqu'un couple de soixantenaires qui nous avait interpellé par la fenêtre de leur voiture nous aborde. Le monsieur parle bien anglais et nous dit qu'il a fait le tour des Etats-Unis en stop il y a 40 ans, il nous précisera aussi qu'il avait les cheveux longs à l'époque, pour bien nous situer son personnage. Nous comprenons que notre itinérance lui rappelle son périple de jeunesse et il nous invite à boire un café. Nous lui racontons tout notre périple, sa femme ne parle pas la langue mais comprend parfaitement, elle est trop mignonne et semble vraiment attentionnée. Nous voyons qu'elle lui dit quelque chose suite à quoi il nous invite à manger « Have you tried tonkatsu ? » « Not yet ! »(nous imaginons bien ce qu'elle a pu lui suggérer). Abandonnant Georges nous voilà dans leur voiture direction un restaurant en bord de route avec vue sur la mer, que nous avions remarqué quelques kilomètres plus tôt . Ils commandent pour nous et s'enfuient prétextant d'avoir quelque chose à faire. Nos plats arrivent, un vrai festin : tempura et tonkatsu (porc pané). Nous pensions qu'ils nous invitaient à déjeuner avec eux, ils voulaient simplement nous offrir à déjeuner ! Incroyable gentillesse une fois de plus. Ils reviennent lorsque nos plateaux sont nettoyés de leur contenus jusqu'à la dernière miette et nous raccompagne au supermarché. Nous nous souviendrons de cette générosité dont nous les remercions chaleureusement.


Nous avons l'impression que les japonais sont souvent sans réserve dans leurs comportements : extrême gentillesse, dévouement total à la nation à l'époque de la guerre (kamikazes...), tendance à boire de l'alcool à outrance ou excessif penchant pour les jeux d'argent dans les patchinko, équivalent japonais des casinos. Ceux-ci sont particulièrement répandus dans le pays et ne désemplissent pas ! Nous avons pu voir des dizaines d'établissements au parking bondé, parfois même se faisant face de chaque côté de la route ! De là à imaginer que la population vieillissante du pays passe sa retraite à dépenser les économies de toute une vie de labeur dans les machines à sous, il n'y a qu'un pas.

Nous enjambons le détroit reliant la baie à la mer par un pont sous lequel les intenses courants entrant et sortant par la minuscule ouverture forme d'impressionnants tourbillons d'écumes. Et nous filons direction Fukuoka, capitale de Kyushu et destination finale de notre itinéraire nippon. Nous campons aux abords de la ville, sur une plage séparé de la route par une petite forêt. Nous sommes à 10 km du terminal des ferrys et nous le rejoignons au petit matin, traversant facilement la ville par les grands axes encore déserts.



Seules deux compagnies de ferrys réalisent la traversées, manque de bol le navire de la seule qui accepte les vélos ne part qu'à la mi-journée. La pluie menace et nous n'avons pas la motivation de visiter la ville avec le vélo, nous profitons donc d'internet dans le terminal flambant neuf (pour lequel chaque passager y transitant doit s'acquitter d'une taxe d'utilisation... pas mal comme technique de financement participatif) en attendant l'heure du départ. C'est sous un ciel bas que nous quittons le Japon qui restera un des pays que nous avons le plus apprécié tant à vélo qu'en tant que touristes. Dans quelques jours commencent , les vacances nationales, la Golden Week, couplées à un événement unique de la vie du pays : pour la première fois un empereur va abdiquer de son vivant pour son fils. Bien que l'empereur n'ait que peu d'importance dans la vie politique du pays, il reste une figure emblématique. Pour l'occasion les japonais se verront octroyer dix jours de vacances consécutifs, une exception pour nombres de salariés qui préfèrent souvent s'asseoir sur tout ou partie de leur quinze jours de congés annuels par peur d'être mal vu de leur employeur. On est bien en France.


COREE DU SUD


Traversée calme et pluvieuse, il nous faudra environ 6h pour rejoindre Busan. La seconde classe est composée de pièces où environ 8 personnes peuvent s'allonger chacune sur un futon individuel. Nous approchons de la côte, déjà les immenses barres d'immeubles et les grues du principal port commercial de Corée apparaissent dans la grisaille persistante. Nous sommes le 23 avril, il reste 12 jours avant notre retour. Nous attendons Georges qui a voyagé en soute (les vélos sont acceptés comme bagages dans le ferry mais le nôtre est un peu trop encombrant), un homme vient nous voir, les bagages doivent passer au scanner via le tapis roulant comme à l'arrivée d'un avion, me voilà donc le suivre à travers la salle technique pour aller défaire Georges de ses sacs (qu'ils n'ont pas osé enlever par eux-même et tant mieux) puis l'agent du terminal m'aide à monter le tandem qui lui ne tient pas sur les tapis roulant. Je n'avais jamais vu les coulisses d'un terminal, c'est chose faite, à chaque journée son lot de nouveautés.


A notre grand regret nous n'avons pas trouvé d'hôte pour nous accueillir à Busan. Dommage car nous aimons tellement avoir une introduction à un nouveau pays par un local. Nous avons donc trouvé une auberge de jeunesse assez proche du ferry et profitons des dernières lueurs du jour pour nous y rendre. Tout de suite, les nombreux buildings d'habitations nous rappellent les « community » chinois, ces quartiers résidentiels sécurisés composés de hautes tours pas toujours très esthétiques. Nous sommes dans une vraie grande ville comme nous n'en n'avons plus traversées depuis Singapour, fini les villes japonaises et leurs immeubles globalement assez petits. L'hôtel, dont le staff est franchement relax voire absent, est au 5e étage, Georges monte dans l'ascenseur avec nous et trouve naturellement une place dans notre chambre, ça faisait longtemps ! C'est sous la pluie que nous partons à la découverte de ce nouveau pays et surtout de ses restaurants. On trouve une gargote bien remplie qui nous donne envie et on initie nos papilles aux saveurs (très) pimentées de la cuisine coréenne. Les coréens raffolent des condiments tels que les radis au vinaigre et surtout le kimchi, choux lacto-fermenté et mélangé avec du piment, disponibles à volonté dans tous les restaurants. On adore. Un voisin de table vient baragouiner trois mots d'anglais et nous offre un verre de bière en guise de bienvenue, pas farouches les coréens éméchés ! Nous mangeons avec des baguettes en inox pour la première fois, ce qui semble être une particularité coréenne par rapport aux autres pays asiatiques. Il est d'ailleurs assez surprenant que 90% des restaurants japonais proposent encore des baguettes à usage unique, imaginer le nombre d'arbres nécessaires à leur production donne le vertige ! Petit-dej en libre service, on se fait une orgie de céréales avant de nous lancer sur la route. Nous ne verrons que peu de choses de Busan, seulement un marché couvert, la météo n'invitant pas vraiment à la visite. Nous retrouvons l'ambiance joyeuse des marchés d'Asie telle qu'on les aime, moins aseptisés que les galeries marchandes japonaises.


Nous traversons la ville vers l'ouest pour rejoindre la rive de la rivière Nakdong, un des principaux fleuves du pays dont les berges ont été aménagées en pistes cyclables, regroupées sous le la dénomination « Four rivers trail ». On peut grâce à lui joindre Busan à Séoul par environ 500km de voies cyclables traversant tout le pays du sud-est au nord-ouest. Un véritable paradis du cyclotouriste. Dans les faits, passer son temps sur cette piste cyclable relativement plate peut être assez monotone voire ennuyeux pour les voyageurs en quête d'aventure et d'exotisme mais offre un indéniable repos de l'esprit (et des genoux...), ce qui nous convient très bien à cette étape du voyage. Ces pistes cyclables sont particulièrement pratique pour entrer ou sortir des villes, surtout pour les grosses agglomérations comme Busan. Une fois dessus, plus de question à se poser. On file à 20 km/h ignorant les énormes échangeurs qui nous surplombent et le dense trafic des double-voies que nous longeons. On ne regrette pas d'être séparés des automobiles car les Coréens des villes ne sont pas vraiment renommés pour leur conduite prudente. A contrario du Japon, le vélo n'est pas considéré comme un moyen de transport : un cycliste est donc soit un pauvre soit un sportif. La voiture règne en maître incontesté sur les routes du pays.

En quittant l'agglomération, nous croisons joggeurs, personnes âgées en pleine promenade sportive et travailleurs en costard s'exerçant avant d'aller au bureau. Les Coréens paraissent prendre soin de leur corps en l'exerçant quotidiennement. Le cycliste autochtone est affublé d'une tenue bien spécifique : bandana couvrant le nez et la bouche, lunettes de soleil (même parfois masque), casque et tenue vestimentaire couvrant les bras et les jambes. Tout ceci pour, semble-t-il se cacher du soleil et garder le teint clair (le teint halé connote plutôt un travail en extérieur, dans les champs par exemple, et donc un niveau social moins élevé). Cet accoutrement leur donne un style de vrais « bad boys » de la bicyclette et nous n'imaginons même pas comme ils doivent avoir chaud. Ajoutez à ça la musique à fond sur une petite enceinte portative et là ça devient carrément comique. La plupart sont dans leur bulle et ne sont pas là pour enfiler des perles, peu d'opportunités de faire causette donc. Après une trentaine de kilomètres, nous quittons la piste pour continuer plein nord direction Gyeongju, ville historique et sorte de Kyoto coréen, qu'on nous a conseillé de visiter. Notre itinéraire suit une large vallée où passent plusieurs axes de circulation principaux : une autoroute et une double-voies. La Corée est un pays très montagneux avec une densité de population plus élevé qu'au Japon, les vallées sont donc très peuplées et bardées de routes au trafic continu, jour et nuit. Nous retrouvons les détritus jonchant les bas-côtés qui nous avaient manqués au Japon (ou pas).


Soulagés d'arriver enfin à Gyeongju nous faisons le point. Cet aperçu de ce que peuvent être les routes du pays vient de décider de notre programme coréen. Puisque nous n'irons pas sillonner les petites routes de montagnes (par manque de temps et de forme physique) et que pédaler dans les vallées n'a pas l'air franchement intéressant, autant tracer au plus simple par la piste cyclable direction Séoul pour avoir le temps de profiter de la ville. Nous traversons d'abord un quartier où tous les édifices, bien que récents, se conforment au même style traditionnel : structure en bois massif et toit de tuiles grises dont les angles suivent des courbes harmonieuses. On comprend tout de suite le potentiel touristique de la ville : restaurants et cafés se succèdent. Plus loin, nous trouvons un parc planté de dômes verts de près de 15m de haut, semblables à des collines miniatures. Ces tumulus ne sont autres que les tombes de souverains défunts du royaume de Silla dont le site de Gyeongju fut la capitale pendant près de 1000 ans (de -57 à 935). Après avoir vaincue les deux autres royaumes de la péninsule, Silla unifia pour la première fois la Corée. Les fouilles de ces tombes ont mis à jour des milliers d'objets de différentes époques : poteries, objets en bronze et en fer mais surtout d'impressionnantes couronnes en or du 5e siècle dans un état remarquable et qui ont fait la renommée du site et son inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. Pour nous abriter de la pluie, nous allons faire un tour dans l'excellent musée où nous pouvons admirer ces trésors et en apprendre plus sur l'histoire du lieu et de la Corée. Cette escale culturelle vaut vraiment le détour et nous en repartons enrichis. En sortant du musée nous rencontrons Kim et son mari Craig, arborant une magnifique moustache au style guidon (quoi de plus normal pour un cycliste), deux australiens adeptes du bikepacking (voyage à vélo léger) et qui nous confient avoir adoré nos chères Pyrénées (donc forcément des gens très bien avec qui on ne peut que s'entendre).


Ce début de séjour en Corée nous ramène tout droit en hiver, pluie et froid sont au rendez-vous. Nous n'avons pas vraiment envie de « gâcher » le temps qu'il nous reste à pédaler sous la pluie le long de routes fréquentées, nous sautons donc dans un bus pour aller voir 100km plus loin si la météo est aussi désastreuse. Le chauffeur d'abord tout sourire en voyant un vélo (qui sont acceptés sans problème dans les bus), change de tête lorsqu'il réalise que ce n'est pas une bicyclette classique. Il nous lance un « No no ! » auquel nous répondons en cœur un « yes yes !», qui suffira à le convaincre puisqu'il n'opposera pas plus de résistance au chargement de Georges dans la soute. Le bus nous dépose à Gumi d'où nous pouvons récupérer le Four Rivers trail. Nous aurons à peine le temps de casser la croûte à base de gumbap (équivalent coréen des makis japonais) et de la variante coréenne des onigiris dans une supérette avant que la pluie ne nous rattrape. Les tenue de pluie intégrales reprennent du service : pantalons, sur-chaussures, gants étanches... et nous quittons la ville sous une pluie froide. Après une vingtaine de kilomètres, nous nous arrêtons trempés et les mains engourdies par le froid. Un kiosque et des bancs abrités en bordure d'un terrain de cricket nous semblent tout à fait propices pour un bivouac abrité. Il y a une grosse différence de confort entre monter la tente sous la pluie pour s'y réfugier au plus vite, et pouvoir déballer les affaires à l'abri pour monter la tente puis faire sa tambouille dehors plus ou moins au sec. On opte pour la simplicité quitte à avoir un peu (beaucoup) le bruit de la route trop proche.

A 5h du matin le jour se lève à peine mais nous sommes réveillés par les voix et le claquement des maillets sur les balles d'un groupe venant déjà jouer au cricket. Faut être sacrément acharné pour venir jouer de si bon matin alors que la brume ne s'est pas encore levée et que tout est trempe, ça relèverait presque d'une addiction maladive. Tout comme au Japon, ce sport de précision semble particulièrement populaire chez les personnes d'âge mûr. Nous nous levons tranquillement et levons le camp sans plus de réaction de la part des joueurs concentrés sur leurs tirs.


Le soleil perce, le beau temps revient on s'en réjouit. Le paysage est joli sans pour autant être exceptionnel. Mais nous apprécions le calme des rives du fleuve d'où s'envolent de nombreux hérons à notre passage. Chaque village que nous passons a son église, c'est totalement inattendu. C'est le week-end et la piste cyclable est prisée par les cyclistes de tout poil : les énervés dans leur maillot « La Française des Jeux » (véridique) tentant probablement de battre leur record personnel, les rêveurs qui zigzaguent le nez en l'air sans véritable but, les sportifs du dimanche qui parcourent une partie du Four rivers trail puis rentrent en train et aussi des téméraires qui se rendent à Busan sur leur Brompton (vélo pliable avec des roues minuscules) alourdis de sacoches. Les Coréens, travailleurs dévoués, sont aussi des sportifs assidus et le pays s'est équipé pour répondre à ce besoin d'activité physique. Nous passons de grands complexes où terrains de tennis, football ou basket-ball côtoient murs d'escalades et clubs d'avirons. Les appareils d'exercices physiques flambants neufs sont légions le long de la piste et sont pris d'assaut par une population très diverse qui profitent d'une pause dans leur marche, jogging ou tour de vélo pour s'étirer ou travailler des muscles non sollicités. Le marché de l'outdoor est en plein boom dans le pays et les acteurs du marché ont pignon sur rue dans toutes les villes que nous avons pu traverser. Les entreprises françaises ne sont d'ailleurs pas en reste : nous ne comptons plus les personnes équipées de veste Millet, Eider ou Lafuma, « Cocorico! ».

Sous ce beau soleil printanier nous traversons des vergers de pommiers et d'abricotiers tout en fleurs blanches et roses, et quelques cerisiers jouant les prolongations nous indiquent que la Corée a aussi eu son sakura. Nous profitons de la pause pour faire sécher nos affaires dans un parc. Avec tente, duvets et vêtements de pluie étalés sur l'herbe, nous attirons l'oeil. Une petite fille, 5 ans tout au plus, vient nous offrir quelques tomates cerises et une canette de café au lait puis s'échappe rapidement. Nous nous retournons et pouvons apercevoir les parents qui nous font signe d'un peu plus loin, nous leur répondons pour les remercier. Ce n'est pas le premier cadeau que nous recevons depuis notre arrivée dans le pays et nous sommes toujours touchés par cette bienveillance. Notre expérience de la population reste pourtant assez mitigée avec des rencontres aussi chaleureuses que d'autres sont froides. Sourire à un inconnu n'est pas vraiment une habitude culturelle ce qui est un peu déroutant pour nous. Nous arrivons tout de même à en décrocher quelques uns en insistant. Clarisse se fait un jeu de lancer aux personnes la fixant le visage fermé, un jovial « Ben alors, un petit sourire ! » – en français dans le texte – ce qui ne manque pas de déclencher la réaction espérée. Bien entendu, la barrière de la langue ne nous aide pas trop et, bien que les coréens semblent parler mieux anglais que les Chinois ou les Japonais, cela reste limité.


Au deux tiers du trajet Busan-Séoul le parcours franchit un unique petit col dont nous gravissons les 500m de dénivelés en fin de journée. Chaque cycliste atteignant le sommet s'enthousiasme et se félicite comme s'il avait gagné une étape du Tour avant d'aller s'enfiler une canette de café au distributeur. Puis ils s'arrête à la petite cabane qui permet de tamponner le livret officiel du parcours. Un petit cadeau est, paraît-il, offert si on présente tous les tampons et donc réussi l'itinéraire complet. Nous observons le spectacle et la vue sur la vallée traversée par une autoroute dont le bruit remonte jusqu'à nous. Le haut du col est percé d'un tunnel, au dessus duquel nous découvrons un espace plane et une petite plate-forme d'hélicoptère. Des chemins de randonnées partent en direction de la montagne voisine, l'hélicoptère doit probablement être appelé en cas d'incident. Il va faire nuit, faut de meilleure option nous décidons de nous installer à côté de la dalle de bitume marquée d'un grand H. Nous avons conscience que ce n'est pas une très bonne idée mais il paraît très peu probable qu'un hélicoptère ne se pointe de nuit alors que nous sommes hors saison. Nous portons donc nos affaires et Georges dans les escaliers menant à la plate-forme. Nuit paisible bercée par le lointain ronflements des bandes rugueuses de l'autoroute. Au petit matin nous redescendons sous le regard de quelques cyclistes très matinaux qui se demandent bien d'où nous arrivons. Nous retrouvons le plat des rives aménagées et retrouvons notre rythme de croisière. Nous avons passé la ligne de partage des eaux, et suivons désormais la rivière Namhangang qui s'écoule vers le nord, en direction de Séoul. La piste est souvent présente sur les deux rives et nous nous laissons guider par les panneaux indiquant le tracé officiel, tantôt rive gauche, tantôt rive droite, empruntant barrages ou ponts. Les rivières du pays sont franchis par un nombre incalculables de ponts, nous n'en avions jamais vu autant en quelques jours. Nous sommes vraiment heureux de finir le voyage par un itinéraire aussi simple, nous n'avons à nous soucier de rien.


Pour le dernier bivouac du voyage nous trouvons un coin calme en bord de rivière et en contre-bas de la piste cyclable, loin de tout axe routier. Enfin une nuit où nous n'entendrons pas la route. On termine nos dernières provisions, drôle de réaliser que nous avons toujours des épices ouzbèkes et même certaines qui nous ont accompagnées depuis la France ! Nous aurions dormi d'un seul trait si seulement nous n'avions pas été réveillés par ce lugubre cri d'oiseau, dont l'auteur ne peut être autre que le cracoucass (bon, après réflexion et sortis des délires nocturnes il s'agissait probablement d'un faisan, fort nombreux dans cette région). Dernier petit-déjeuner au riz sucré, finalement on s'y fait bien avant de faire du sport, nous allons probablement changer nos habitudes alimentaires une fois rentrés. La piste cyclable emprunte désormais une ancienne ligne de chemin de fer avec de longs tunnels éclairés dont les gares ont été transformées en aires de repos pour cyclistes. Le pays a vraiment réalisé un sacré chantier pour viabiliser ce réseau de voies vertes.

Pour notre dernier soir avant d'arriver à Séoul, nous avons décidé d'expérimenter un jimjilbang, équivalent coréen des onsens. Nous avons eu vent que certains sont ouvert 24h sur 24 et permettent d'y dormir pour une somme modique. Une dame parlant anglais nous aide avec l'hôtesse d'accueil qui nous donne pyjamas, serviettes et clé de casiers contre notre règlement. Nous déposons nos chaussures dans un premier casier, puis nous partons chacun dans nos quarts, les femmes à l'étage, les hommes au sous-sol (faudrait pas être trop près). Un deuxième casier plus grand accueille mes habits et les sacoches de vélo que nous n'avons pas voulu laisser à l'entrée. Bonheur de la douche chaude que nous attendions depuis plusieurs jours. Je réalise rapidement que le bain chaud des hommes n'est en fait pas en service, les boules, forcément la dame n'a rien dit. Trop las pour porter réclamation via logiciel de traduction interposé, j'enfile mon agréable pyjama et vais m'allonger sur un des tapis de sol faisant office de matelas dans la douce chaleur de la salle de repos ornée de bois. D'autres personnes sont déjà là, certaines endormies, d'autres sur leur smartphone, dans une ambiance calme perturbée uniquement par l'inutile télévision ignorée de tous. La salle est découpée en plusieurs parties ce qui permet de s'isoler au besoin. En payant le supplément on a accès à toutes les commodités et notamment aux saunas, dont l'un est un véritable four dont les clients ressortent haletants et dégoulinants de sueurs à la limite de la syncope pour certains. J'observe les autres usagers alterner passage au sauna et pauses dans le jardin extérieur. Je suis bien dans mon pyjama propre, tant pis pour le sauna. Clarisse arrive un peu plus tard, elle a eu plus de chance que moi, le bain chaud des femmes fonctionnait quand à lui, elle est heureuse et relaxée. Nous traînons sur nos couches complétées par une sorte de brique en cuir à peine molle en guise d'oreiller. C'est finalement moins inconfortable qu'on ne le penserait.

La faim commence à se faire sentir, impossible de cuisiner au réchaud dans le jardin, nous nous orientons donc vers les nouilles instantanées en vente sur place. Nous déchantons, c'est totalement hors de prix pour ce que c'est. Je tente donc de faire remarquer à la tenancière du lieu qu'elle pourrait nous en offrir une boite en compensation du bain dont je n'ai pu profité (qui est tout de même la raison principale de venir dans ce type d'établissement). En réponse je récolte un petit rire ironique, pas très commerçants les coréens. Mais quelques minutes plus tard elle revient nous voir, probablement prise de remords et, nous imaginons, comprenant que ce n'est peut être pas une bonne publicité pour des étrangers qui ont parcouru tant de pays à vélo (la dame nous ayant aidé en arrivant lui avait traduit notre récit). Finalement nous aurons le droit à une boîte de nouilles chacun, des radis « pickles » et elle nous proposera même du riz. Nous profitons du cadeau avec satisfaction et allons nous coucher le ventre plein. Nous ne sommes pas les seuls à rester toute la nuit et nous serons étonnés du calme du lieu après minuit, si ce n'est le type qui déboule en pleine nuit, parle au téléphone à haute voix puis ronfle et gémi bizarrement toute la nuit, nous obligeant à déménager dans un recoin plus isolé. A 8h du matin, ça roupille encore et nous nous effaçons discrètement après avoir enfilés nos habits usés par quatorze mois de voyage.


Déjà les barres d'immeubles annonçant la ville apparaissent. Nous nous approchons de Séoul. On aperçoit venant dans notre direction un cycliste dont la silhouette suggère qu'il transporte quatre sacoches. Nous nous arrêtons, notre premier vrai voyageur à vélo de Corée ! Adam, anglais souriant d'une trentaine d'années, a atterri en Corée la veille. Il est lui aussi sur les routes depuis plusieurs mois. Il est parti de Singapour puis est remonté vers le nord jusqu'en Chine avant de retourner en Asie du Sud Est. Il est heureux de rencontrer d'autres voyageurs et nous sentons qu'il a besoin de parler. Après quelques minutes il nous confie que nous en savons désormais plus sur lui que pas mal de monde. Il devait initialement rallier l'Angleterre depuis Singapour avec sa femme, ils ont changé de plan en Chine et après 8 mois sont finalement partis chacun de leur côté : elle est rentrée et lui poursuit son voyage. Malgré 5 ans de mariage ce voyage leur a fait réaliser qu'ils n'attendaient pas la même chose de la vie. Elle souhaite s'installer en Angleterre et avoir des enfants, il aspire encore au voyage et à une vie moins sédentarisée. Il admire que nous soyons en tandem et qu'après autant de temps ensemble nous avancions toujours dans la même direction. Une réflexion me vient alors, doit-on la réussite de notre voyage à deux (et peut-être même la survie de notre couple) au fait que nous soyons justement en tandem ? Clarisse aurait-elle choisit de faire demi-tour lors des moments durs du Kirghizistan si nous avions eu des vélos séparés ? Effectivement, être une équipe nous a sûrement évité de se pauser certaines questions. En tout cas, à quelques jours de notre retour, nous pouvons affirmer que notre relation n'a pas été entamée par ce voyage (il aura tout de même cassé quelques tabous). Nous passons bien une heure et demie à échanger sur nos voyages, nos réflexions, nos expériences. Au bout d'un moment Clarisse réalise qu'elle le « suit » sur les réseaux sociaux depuis que le Myanmar, vu qu'ils allaient dans le sens inverse cela nous permettait d'avoir un retour sur ce qui nous attendait en direction de Singapour. Petit monde du cyclo-nomadisme et magie des réseaux sociaux où tout le monde fini par se connaître sans se rencontrer. Alors que nous sommes sur le point de partir chacun de notre côté, lui vers le Japon, l'Alaska et la traversée du continent américain, nous vers Séoul, l'aéroport et le retour à la vie annécienne, qui ne voyons-nous pas passer à notre hauteur ? Kim et Craig ! Nous ne pensions pas les recroiser ! Heureux moment de rencontre qu'Adam immortalise.


C'est reparti direction Séoul. La tour Lotte et ses 555m (5e plus haut édifice mondial) nous montre le cap tel un phare immense à l'horizon. L'entrée dans cette mégalopole de dix millions d'habitants (vingt-cinq pour l'agglomération, 4e au classement mondial) est déconcertante de simplicité grâce au réseau cyclable qui suit chaque canal jusqu'à l'intérieur de la ville. Et c'est quasiment 100% par des voies dédiées que nous atteignons le hanok – maison traditionnelle coréenne – de Jo-Anna et Sanghyun. Ils sont absents pour le moment mais nous laissons nos affaires et partons explorer la deuxième ville la plus riche d'Asie après Tokyo.

Nous remontons à pied l'agréable canal de Cheonggyecheon, véritable coulée verte en plein cœur de la ville. La mise à jour de ce canal de près de 10 km, a coûté 280 millions de dollars. Le projet, initié en 2003 en supprimant l'autoroute surélevée qui suivait le canal, a permis de réintroduire la nature au centre de la ville, pour le plus grand plaisir des séoulites qui peuvent y oublier totalement l'effervescence de la cité. Ce cadre agréable ne les incite pas pour autant à lever le regard de leur smartphone dernier cri captant le 5G. La course technologique bât son plein à Séoul. Nous retrouvons nos hôtes pour un dîner ambiance locale dans le fameux marché de Gwangjang, halle couverte bondée de petites échoppes de « street food » dont la spécialité est le bindae-ttok, le pancake aux pousses de soja. Nous arrosons le repas de maggeolli, ou vin de riz, boisson laiteuse un peu sucrée s'apparentant plus à une bière avec son taux d'alcool faible. Une belle entrée en matière pour cette première soirée !

Deuxième jour à Séoul. Alors que nous marchons pour poursuivre notre visite de la ville, nous tombons sur un cyclo-voyageur français aux sacoches délavées par le soleil et témoignant donc d'une période prolongée sur les routes. Il voyage sur un magnifique vélo en bambou fait maison. Très vite nous comprenons que nous avons entendu parler de lui et de son épique mésaventure. Arthur a passé un mois dans une prison birmane pour avoir fait voler son drone au dessus du parlement, le prenant pour un simple palais historique. Initialement condamné à trois de prison (tout de même!), la diplomatie française a permis sa libération. Il nous confiera que les conditions étaient loin d'être aussi mauvaises qu'on pourrait le croire et que l'ambiance était assez bonne entre mâtons et détenus (qui sont pour beaucoup emprisonnés pour des raisons très arbitraires). Ayant expérimenté la bienveillance des birmans, nous pouvons effectivement imaginer ce qu'il nous dit. Quelle histoire en tout cas. Tout comme Adam il poursuit vers le Japon et le continent américain, nous les mettons en contact étant tous les deux avides d'un peu de compagnie. Nous restons là encore deux heures à parler avec Arthur, nous nous retrouvons sur beaucoup de points et avons parcourus pas mal de routes en commun. Il a même voyagé plusieurs semaines avec Matty en 2017, le premier cyclo que nous avions rencontré dans le ferry pour Split ! Nous partageons du coup notre ressenti du personnage mélange d'admiration et de réserve sur ses histoires rocambolesques. Arthur nous accorde qu'il a aussi eu quelques doutes sur la véracité de ses aventures et nous en dit un peu plus sur le personnage. Drôle de rencontrer coup sur coup deux voyageurs sans date de retour à quelques jours de la fin du voyage. De quoi nous donner des envies de repartir.


Ce séjour à Séoul aura été riche en rencontres, un midi nous déjeunons avec Steven, contacté sur Warmshowers mais dans l'impossibilité de nous accueillir. Alliant action caritative et challenge sportif, il parcourt de longues distances en rollers, il compte à son palmarès notamment la traversée des Etats-Unis d'Est en Ouest. Cet été il se lance à l'assaut de l'Eurovélo 6 (route cyclable allant de l'Atlantique à la Mer Noire) de la Rochelle jusqu'en Bulgarie. Pourquoi les américains sont-ils aussi expressifs et parlent aussi forts ? Nous mangeons notre premier bibimbap en sa compagnie, plat le plus exporté de la cuisine coréenne. C'est délicieux mais ça reste un simple plat de riz avec un mélange de légumes, d'oeuf et de piment, le type de plat populaire permettant de finir les restes qui fini par devenir un emblème national. Je profite aussi d'être à Séoul pour revoir Ayhun avec qui j'ai étudié un semestre à Aix en Provence il y a dix ans ! Toujours un plaisir de revoir une ancienne collègue de classe. Elle nous régale par un véritable festin de plats coréens dans un restaurant puis son copain nous rejoint pour un verre avant de nous raccompagner en voiture. Excellente dernière soirée en ville, nous nous en souviendrons et espérons pouvoir leur rendre la pareil en France.


Nous avons vraiment apprécié Séoul et ses multiples facettes, ses marchés rappelant les bazars d'Asie Centrale, ses grandioses palais préservés, ses ambiances variées allant du quartier constitué uniquement de hanoks au dédale de rues à flanc de colline nous rappelant Lisbonne en passant par les immeubles modernes du quartier des affaires ou les rues commerçantes et leurs enseignes mondialement connues. A l'instar de Kyoto, on peut louer des costumes traditionnels pour déambuler dans les lieux historiques de la ville. Nombre de touristes coréens ou japonais jouent le jeu et cela ne gâche en rien la photo. Peut-être devrions-nous introduire cette idée en France ? Imaginez le tableau : des touristes en costume de sans-culottes et bonnet frigien autour de la Bastille, ou parés de perruques style Renaissance à Versailles. Dernière visite, un passage au très instructif War Memorial Museum, qui retrace toute l'histoire des conflits armés du pays depuis ses origines. Etant située entre le continent et le Japon, la Corée aura malheureusement toujours été sous les feux croisés tantôt russes contre japonais, tantôt chinois contre japonais, pour finir par communisme contre socialisme suite à la Seconde Guerre Mondiale. A peine libérée du joug des japonais en 1945, la Corée se retrouve partagée entre Russes et Américains, ce qui aboutira à la Guerre de Corée, initiée par l'invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord en 1950 avant l'instauration d'une DMZ en 1953 (zone tampon démilitarisée), le long du 38e parallèle. Aucun traité de paix n'ayant été signé, les deux parties sont encore officiellement en guerre mais la rencontre historique des dirigeants nord et sud en avril 2018 ouvre la porte à un espoir de réconciliation. Bref l'histoire nationale n'est pas de tout repos.


3 mai, J-1. Nous quittons Séoul en empruntant de nouveau les pistes cyclables direction Incheon, à l'ouest, où est situé à l'aéroport international. Pour que ce ne soit tout de même pas trop facile, nous avons un bon vent de face. Peut-être pour nous rappeler les mauvais côté du voyage à vélo ? Il fait beau et les parcs que nous passons sont très fréquentés. On sent que l'ambiance est à la fête, on approche de la fête bouddhiste la plus importante : l'anniversaire du Bouddha. Nous ne pouvons qu'imaginer le spectacle à venir à travers les décorations installées. Vraiment nous sommes impressionnés par le réseau cyclable, les axes de circulation principaux sont tous sur pilotis et les anciennes routes secondaires ont été reconverties et fermées à la circulation. D'immenses rampes d'accès ou même des ascenseurs permettent de rejoindre les ponts passant au dessus de nos têtes. Après 50 km et uniquement 2 passages piétons franchis, nous récupérons un carton pour le voyage retour de Georges. Notre hôte du soir nous a aidé dans la recherche. N'ayant rien trouvé de plus près de chez lui, nous parcourons 10km avec le carton plié et suspendu au guidon de Clarisse, technique approuvée !


Notre dernier hôte du voyage, Song Chan, nous accueille dans son petit studio. Il a lui aussi réalisé un grand voyage il y a quelques années, du Japon jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle puis le long de la route 66. Il est nostalgique de cette aventure qu'il ne pourra plus se permettre et est donc heureux de voyager par procuration via ses invités. Il nous explique que la pression sociale est assez forte en Corée et les jeunes recherchent uniquement des emplois prestigieux dans les services de publics ou les grosses entreprises. Par conséquent de nombreux jeunes sont au chômage. Il est content de son poste et ne veut donc pas le perdre. Et ce n'est pas les quinze petits jours de vacances annuels qui lui permettront de voyager. Par ailleurs, les jeunes coréens, souvent chez leur parents jusqu'au mariage, sont naturellement poussés à fonder un foyer, et il est plus difficile de trouver chaussure à son pied passé la trentaine. Nous nous rendons une fois de plus compte de notre chance d'avoir grandi en France. Nous complétons notre tour des spécialités culinaires du pays grâce à Song Chan, il nous invite manger un délicieux jokbal, ou jambe de porc confite et à tester notre résistance aux teokbokki, sortes de tubes de farine de riz dans une sauce extrêmement pimentée. Nous aurons profité de la Corée jusqu'au bout.

Nous avons eu de la chance de pédaler la veille pour Incheon, aujourd'hui il y a une alerte à la pollution de l'air. La Corée continue de souffrir de sa proximité avec son voisin géant. En cette saison, les vents apportent les nuages de pollution qui asphyxient régulièrement les villes industrielles chinoises. Un voile marron à recouvert le grand ciel bleu des derniers jours.

Georges est emballé soigneusement. Nos sacs sont prêts. Nous partons pour l'aéroport avec notre bardas et nous arrivons à nous trouver une place dans le métro tant bien que mal. Nous sommes à l'aéroport beaucoup trop tôt mais nous n'avions de toute façon rien d'autre à faire de plus. Nous patientons en essayant de nous remémorer les 17000 kilomètres que nous avons parcourus. Enregistrement, 58kg de bagages sur les 60 autorisés. On espère que tout arrivera bien à bon port. Minuit, nous embarquons. Décollage direction Genève via Doha, en 15h de vol nous allons survoler ce que nous avons mis 10 mois à parcourir, A 900km/h, on va rembobiner le film en accéléré.


Toute les photos du Japon ici et Corée du sud ici


Mots-clés :

bottom of page