24 août 2018. Cette journée de pause au bord du lac a comme un air de vacances. Je farniente sous le soleil à l'ombre des arbres après une baignade pendant qu'Alex rédige le blog post de nos débuts dans le pays assis à une table de picnic. On est bien là, à observer les formations nuageuses qui laissent présager un changement de météo... tôt ou tard. Pas un moustique pour venir parasiter ce moment de précieuse relaxation, il y a assez de vent pour les faire fuir mais pas assez pour nous refroidir. Alex se fait parfois interrompre par une chèvre, un mouton, un cheval ou un veau qui s'approche. Cette plage au bord du lac Issyk Kul offre plusieurs hectares de "pâturages" à brouter pour les animaux du village du coin.
Il ne manque rien : du soleil, des embruns, de quoi cuisiner et grignoter... juste de l'eau potable. Alex part en balade au village pour chercher de l'eau et quelques vivres en plus, il se retrouve invité au petit-déjeuner dans là maison où il demande de l'eau. Un bon moment avec des locaux comme on en vivra peu finalement pendant ce séjour car nous avons choisi des itinéraires montagneux où très peu de monde habite, probablement parce que les Kirghizes voient tellement de touristes qu'ils en deviennent un peu moins hospitaliers et certainement aussi parce que nous ne parlons ni kirghize, ni russe.
Dans l'après-midi le Père Noël débarque en mini-van ! Jean (le papa d'Alex) nous rejoint directement sur la plage, déposé par son chauffeur. Il s'est débrouillé comme un chef pour se faire comprendre et même tailler une bavette, à grand renfort de Google Translate. On dit "merci la technologie !". Nous sommes heureux de le retrouver pour la deuxième fois de notre voyage, en forme, avec tout son équipement vélo et avec de nombreuses choses que nous avions commandé. Des pièces de vélo, nos permis internationaux (émis en 5 mois par l'administration française... record !), lunettes de soleil aux normes CE (les miennes étaient cassées depuis 2 mois et tenaient grâce à un bout de duck-tape façon Harry Potter), un nouveau casque (envoyé par Urge Bike Products en guise de sponsoring), de la confiture maison de prunes (Reine-Claude du jardin de St Jean de Belleville) et ... 5 saucissons et des petits chèvres des Alpes !! En fait, y a quelques trucs qui nous manquent quand même en étant en voyage loin et longtemps. Dommage qu'il ait zappé le vieux parmesan qui traînait dans le frigo, ça aurait été la cerise sur le gâteau !
C'est le moment des grandes premières pour Jean : remonter le vélo, installer la tente, dîner sur le réchaud, nuitée en camping, petit-déjeuner et organisation des sacoches de vélo... Nous voilà prêts à partir. Ou presque car nous crevons au premier tour de pédale. Une fois la réparation terminée nous filons vers les montagnes. On a décidé de montrer à Jean le genre de routes qu'on a arpentées depuis bientôt un mois, et puis les bords du lac sont un peu trop circulants. Il est 11h. Nous faisons un stop devant une supérette où Jean achète une bouteille de vin local pour fêter son arrivée. A deux, on n'a pas l'habitude d'acheter du vin car cela ne nous manque pas vraiment et qu'une bouteille pour deux... bonjour le lendemain sur le vélo. Toutefois, ce soir nous retrouvons Mario dans les montagnes, à quatre la bouteille tombera facilement. Nous prenons la direction d'une vallée plus ou moins parallèle au bord du lac. Toute l'après-midi et les deux jours qui suivront seront le reflet de notre expérience du Kirghizistan, une sorte de medley, de résumé en guise d'introduction et de bienvenue à Jean. Sur une route en gravier plus ou moins marquée, nous longeons des rivières qui nous amènent au cœur des montagnes; des hauts, des bas et des côtes à 15% dans de la "semoule" qui nous obligent à descendre de vélo et à pousser. Nous y croisons de vieilles bagnoles dont une belle Lada 4x4 jaune qui me plaît terriblement, un troupeau de chevaux sauvages qui se baladent en totale liberté, des motards en vadrouille, des touristes en 4x4 flambant neuf, des yourtes à touristes, une cabane perdue au milieu de la pampa et des gamins qui accourent pour nous voir (et qui contre toute attente viennent nous saluer et nous interpellent d'un "tenge ?!" - argent en russe. Je m'indigne : "Niet money ! Genre, vraiment ? Qui t'a appris ça et t'a fait croire que ça marcherait ?! ») et, clou du spectacle ... les quatre saisons dans la journée ! On s'habille, on se déshabille, on met le K-way, on l'enlève, on enfile le pantalon de pluie et on le retire... Oui, non, oui, non... le vent nous amène des orages de pluie chargés d'éclairs qui nous passent à côté une fois sur deux.
Le premier soir de bivouac, c'est un spectacle exceptionnel que nous offre la nature, en son et lumière et, pour finir un ciel étoilé. A ce moment là, nous avons retrouvé Mario, les garçons entament l'apéro (bière, saucisson, lomo et vino... c'est Noël à nouveau !) dans la tente à l’abri pendant que je cuisine dehors de succulentes pâtes encore affublée de mes habits de pluie. Le petit-déjeuner s'éternise et nous décollons à 10h30 après une dernière mélodie à la flûte signée Mario. Les adieux sont chargés d'émotion. Cette fois c'est la bonne, il part au Nord et nous à l'Est. Nous avons adoré rouler avec Mario, ses pets du matin dans la tente signalant son réveil et son accent espagnol pour nous raconter comment va son transit ("Oh, it's wonderrrrrful !") vont nous manquer ! ("Ahh, bah oui les amis, on vous dit tout ! La vérité ? On parle beaucoup de notre transit et de la consistance de... hum... bon... voilà... en voyage à vélo, c'est important !). On se donne RDV à Annecy dans un an ou plus selon son programme. Alegria, alegria !
Depuis quasi un mois (après ma petite maladie de Osh) je dors beaucoup mieux. Un soulagement pour Alex sans doute car quand je dors mal, je suis infernale (comprendre fatiguée donc grincheuse). Il m'aura fallu quasiment 6 mois de voyage avant d'arriver à "bien" dormir en camping. Le sommeil n'étant pas à sous-estimer quand on fait des efforts physiques comme les nôtres. Il permet de se maintenir en bonne santé et d'éviter de craquer à la première bactérie qui passe ("Hello you ! Si tu crois que tu vas me terrasser aussi facilement... ah bein oui... et paf, c'est la "tourista"..."). Jean semble bien s'en sortir. Nous mangeons dans un boui-boui dès le 2ème soir car nous sommes à Bokom Baevo et nous passons la nuit dans une guesthouse pour en profiter pour prendre une douche chaude. La dernière datait de 8 jours pour Alex et moi (on précise bien "chaude" parce qu'on se douche dans les rivières et dans les lacs quasi tous les jours. "Bah oui, c'est roots mais quand même !"). Ces repas en extérieur lui permettent de mettre sa flore intestinale au diapason de l'ambiance locale. On partagera enfin une assiette de manti, "enfin" car nous avions tenté d'en manger à plusieurs reprises mais sans succès, ils étaient toujours à court. Le manti est une sorte de beignet de pâte de riz cuit à la vapeur et farci d'oignons et de bouts de mouton; sûrement les chutes de la viande qui ont été "recyclés", malin héhé. Par ailleurs, plutôt bon. Cette soirée est encore une belle illustration du genre de péripéties que nous rencontrons. Après avoir été accueillis à la guesthouse trouvée sur Booking.com par un jeune garçon de 12 ans (le seul de la famille qui parlait anglais), nous prenons nos quartiers dans la chambre préparée par sa sœur de 17 ans. Les parents ne sont pas là. On ne les verra pas. Au détour d'une conversation sur les habitudes culturelles, l'ado (qui parle très bien anglais et russe... à 12 ans, svp !) nous explique qu'il n'y a pas d'heures pour manger au Kirghizistan, que les gens mangent quand ils ont faim ou quand ils ont le temps. En effet, ils cumulent souvent deux boulots à la fois. Une de ses profs tient une supérette en même temps que son travail d'enseignante, par exemple. Après un léger quiproquo avec le jeune homme qui tente de nous amener manger à l'autre bout de la ville dans le restaurant d'un ami à lui sans nous laisser le choix mais en ne nous donnant pas d'information, nous choisissons d'aller dans ce fameux boui-boui, un "kafe" comme ils les appellent. Le restaurant de son ami était sans nul doute un resto improvisé dans son salon pour se faire trois sous; "when i have tourist i take them to my friend restaurant"... C'est bien de vouloir faire marcher le business des copains mais "on a fait du vélo toute la journée et on est crevés, on ne veut pas faire 5 KM pour aller manger on-ne-sait-où sans nous expliquer alors qu'il a des resto partout !", le gronde Alex. Je suis prise de quelques remords pensant qu'on a pas été très sympas avec lui et qu'on est des représentants de nos pays à l'étranger. Quelle image aura-t-il des occidentaux maintenant ? Des gens arrogants ? Ou juste se rendra-t-il compte que sa manière de faire n'était pas correcte ? Mais correcte aux yeux de qui, d'ailleurs ? Nous sommes dans une culture différente avec des mœurs différentes... c'est parfois très dur de ne pas s'offusquer de certains comportements et de se laisser porter lorsqu'on "juge" que cela n'est pas "normal" avec notre perception des choses. Bref, nous atterrissons dans ce resto où nous mangeons donc nos manti et autres plats locaux. Un groupe de jeunes femmes mange à la table d'à côté et l'une d'elles ramène une bouteille de cognac achetée dans la supérette d'en bas. Ça sent la bonne soirée ! Quant à nous, c'est direction notre chambre pour un bon dodo. L'aventure vélo continue direction Karakol.
Le soir suivant nous changeons radicalement de décor, après un rude col et une exténuante descente, nous sommes retournés au bord du lac Issyk Kul, à Tosor, au pied du fameux terrible col du même nom. Fort heureusement, on ne l'avait pas emprunté avec Mario. Il est enneigé et la fin de la descente où nous pédalerons pour revenir vers le lac est un enfer de semoule et de cailloux ronds tout droit sortis de la rivière et sur lesquels il est impossible de pédaler. La météo est finalement ensoleillée ("c'est passé juste, juste !"), on plante la tente dans le sable, on se baigne (tout nu pour certains... la liberté la vraie ?! ^^) et Jean nous fait un feu de bois magnifique au coucher du soleil. Il sera nommé "maître du feu de camp" pour le reste de son séjour.
C'est donc ça le voyage à vélo ! Des moments difficiles à galérer, parfois épuisés, pour mieux apprécier la légèreté et la sobriété des autres moments, dans un confort minimaliste qui nous procure pourtant un grand plaisir. Quand on retrouve l'asphalte, on s'extasie. Même si elle est de piètre qualité, on arrive parfois à s'en contenter. On prévoit donc une journée à plus de 100KM et on trouve une guesthouse "cosy" juste avant la nuit. Mes genoux sont cuits. Le Kirghizistan aura eu raison d'eux. Cela nous décide à faire une journée de pause et à jouer les touristes. On signe pour la soirée en yourte de montagne et le bain dans les "hot springs" de la vallée Altyn Arashan. Une virée en taxi et 4h de marche plus tard nous faisons l'expérience d'une soirée de tourisme "classique" au cœur d'une magnifique vallée à l'allure pyrénéenne. Un régal. On revient avec les mollets qui tirent, pour changer; le lot de tous les sportifs qui changent brutalement d'activité.
Ce passage par Karakol sera l'occasion de bien manger et de rencontrer Léonard et Pauline, deux marseillais venus en tandem depuis Berlin en passant par les pays scandinaves, la Russie et le Kazakhstan (en trans-sibérien). C'est par ailleurs notre prochaine étape. Et, comme tout passage de frontière qui se respecte : on en chie, sur une mauvaise route avec du vent de face. Jean nous met la misère et trace devant nous la plupart du temps (même en descente, du jamais vu !), avec son équipement léger (peut-être trop "léger" vu qu'il aura rapidement des pépins avec). On a comme l'impression qu'il vole au-dessus des nids de poules et de la taule ondulée, au travers des collines qui nous amènent à la frontière Karakol/Kegen. Seuls les troupeaux de chevaux qui traversent la route ("que dis-je ? La piste, vu l'état !") et créent de vrais bouchons l'arrêtent. Plus nous avançons vers le nord et le Kazakhstan, plus nous voyons de chevaux en liberté; nous en voyons en une journée sans doute plus que depuis le début de notre vie. Cette vision nous émerveille tous les jours. Nous arriverons donc tard à Kegen, après un passage à la frontière super facile (enfin un point réjouissant dans cette fin de journée) mais une route difficile où nous subissons les 25 derniers KM sous une météo peu favorable. Le ciel est gris à tendance pluie, le vent (de face) est fort et la température a chuté ("euh, comment ça on passe à l'hiver sans transition ?!"). Le bitume est bon mais nous n'en profitons plus tant nous souffrons. J'ai très mal aux genoux désormais (sûrement les ménisques comme après les montagnes-russes en Arménie) et Alex est très faible, il a sûrement chopé une bactérie qui lui coupe l'appétit, lui donne la coulante et la nausée. Sympa cette journée de transition ! La ville qui nous accueille est d'un glauque... vide et plutôt délabrée. Tout comme le seul et unique hôtel dans lequel nous seront obligés de séjourner car nous sommes gelés et épuisés. A peine arrivés, Alex vomit dans le bout de jardin qui sert de dépotoir, caché derrière une palissade en décomposition. Petite touche de glamour supplémentaire à cet endroit... miteux. Un lit, une douche ("Peut-on vraiment appeler cette cabine sur pilotis une "douche" ?" C'est un autre débat !), accès à la bouilloire et le wi-fi; voilà tout ce que nous aurons. C'est ce que me fait comprendre la jeune femme qui gère la réception. Alex se repose pendant que Jean et moi allons au guichet automatique de la banque pour retirer de quoi payer l'hôtel et les prochaines courses de vivres. Je me retrouve à faire la cuisine au réchaud au pied de l'hôtel car tout est fermé en "ville". Jean me soutient moralement avec une bière et du lomo. On est mieux. Au menu du chef ce soir : Riz blanc à l'huile de truffe (oui, il nous en reste dans notre petite bouteille en verre achetée à l'épicerie du resto Aux Pieds Sous La Table (Toulouse) et qu'on trimballe depuis 6 mois ! Cécile et Fab, si vous nous lisez, on a une pensée pour vous !). Heureusement, demain est un autre jour.
Nous dormirons bien. Et, forts de cette expérience étonnante, après un petit déjeuner au thé noir, au pain tartiné de miel délicieux (acheté au producteur sur la route au Kirghizistan) et de confiture, nous voilà partis battre la campagne.
Le Kazakhstan fut une belle expérience. Nous n'en verrons que le Sud-Est et l'Est mais ce sera une incursion sous le signe de la relaxation. Une grande chance pour nous, la météo semble moins changeante que de l'autre côté de la frontière; le soleil nous accompagnera pendant 5 jours jusqu'à Zharkent. Encore un pays extrêmement rural. Ça fauche les champs de tous les côtés, les camionnettes disparaissent littéralement sous les foins. On sent l'empressement de remplir les greniers à foin avant l'arrivée de l'hiver; car oui, il arrive, au premier matin on se réveille et la tente est gelée. Vu le nombre de bête à nourrir, il faut des réserves. On voit uniquement des hommes dans les champs, comme dans le pays précédent, au contraire du Tadjikistan où les femmes étaient préposées à la cueillette. Depuis le Kirghizistan, les femmes, outre leur rôle de mère, tiennent restaurants et épiceries. Elles ne montent d'ailleurs pas à cheval. Les hommes des campagnes sont "secs" comme qui dirait; plutôt minces et musclés avec les traits burinés par le soleil. Physique assez opposé à celui des gens rencontrés dans les quelques "villes" où nous sommes passés et passerons dans les jours suivants. Le travail physique dans les champs versus la sédentarité et la sur-consommation dans les villes ? Sans doute. Le marché des sucreries et du soda a de beaux jours devant lui et les multinationales qui l'inondent aussi ("Bonjour The Coca-Cola company !"). Mon œil de "marketeuse" voit bien que ces grandes entreprises savent convaincre (ou manipuler ?) les commerçants locaux. Elles offrent gentiment et gratuitement de la PLV pour que ces derniers puissent afficher devant leur boutique un message en déterminant la nature : "magazin", dans notre cas ... et par la même occasion le logo de leur marque, bien entendu ! Dans le jargon marketing on pourrait appeler ça un levier de notoriété autrement dit du "lavage de cerveau"...
Quant à nous, on continue d'essayer de consommer local le plus possible. Fruits et légumes à une échelle locale mais aussi produits industriels à une échelle plus nationale. Depuis le Pamir, on achète une pâte de tournesol qui s'apparente fortement au Turrón espagnol. C'est énergétique (12g de protéines pour 100g !) et délicieux, ni trop gras ni trop sucré et ici on en trouve du "made in" Kazakhstan. On s'achètera aussi le chocolat local dans le plus beau packaging de chocolat jamais vu, aux couleurs du drapeau Kazakh. Malheureusement, il n'y a que l'emballage qui est sympa, le chocolat lui-même est un chocolat au lait trop sucré, de piètre qualité. On se lamente de ne pas trouver du chocolat noir ("genre vraiment noir quoi... 75 à 90% !") et on se fait avoir à plusieurs reprises faute de mauvaise lecture des étiquettes. On se pose quand même la question de savoir quand on arrêtera de consommer ce produit qui, comme le café, n'a rien de très local et n'est pas dans les habitudes alimentaires du coin. Voilà sans doute pourquoi la qualité recherchée n'est pas au RDV, mais que voulez-vous ? On n'est pas occidentaux pour rien. Nous ne trouvons pas de vin partout non plus. Là on abordera même pas la qualité d'un vin dont la bouteille reste sur l'étalage des mois ou des années par tous les climats car c'est un produit de luxe ici vu le prix en monnaie locale; clairement plus cher que la vodka. Ceci dit, à l'instar du « mauvais » chocolat, on s'en contente très bien quand on en trouve. Nous arrosons donc nos soirées feu-de-camp de bières, à chaque fois différentes et plutôt locales, achetées par Jean pour notre plus grand plaisir à tous les trois.
Nous profitons de la vacuité de ce vaste pays pour observer le ciel et ses milliards d'astres. Jean nous signale que la Lune, Mars, Jupiter, Saturne et Vénus se suivent en formant un grand arc de cercle au-dessus de nos têtes. On ne voit cela que tous les deux ans. C'est beau. Le Charyn Canyon où nous traînons 3 jours, bivouaquant tantôt en bas au bord de la rivière oasis éponyme, tantôt en haut dans la steppe au bord de la falaise, nous offre un panorama incroyable. C'est un lieu unique dans ce pays extrêmement plat (à quelques chaînes de montagnes près) et sec. Il est difficile d'imaginer cette immense entaille dans le sol digne du Grand Canyon lorsqu'on parcours la steppe en sa direction. On se perd dans les pistes tracées par les 4x4 mais on se trouve toujours un lieu agréable (mais trop souvent jonché de déchets laissés par les locaux de passage) pour se reposer et, en prime, il n'y a personne ! 18 millions d'habitants pour un pays qui fait 3,5 fois la taille de la France. Cela explique autant de grands espaces vides et des villages ou villes regroupés autour des points d'eau; sources de montagnes, rivières ou fleuves. Ce qu'on a du mal à s'expliquer c'est de voir autant de vétusté et de pauvreté dans les zones habitées (à l'exception d'Almaty ou d'Astana, la capitale, que nous n'avons pas visitées donc nous ne pouvons pas en témoigner mais nous avons eu quelques échos) alors que nous traversons le pays le plus riche des pays d'Asie Centrale (selon le Lonely Planet). A croire que le partage des richesses liées à l'exploitation des ressources naturelles (gaz et pétrole) n'est pas équitable. Tiens, donc.
Il aura fallu attendre l'avant-dernier jour pour goûter une des spécialités locales. Au détour de la route nous apercevons un panneau indiquant "Kimiz à 50m". Nous n'hésitons plus et allons chercher un peu de ce breuvage. Évidemment, nous faisons près d'un KM avant d'atteindre la ferme. Les gens en Asie Centrale semblent avoir peu de notions des distances, ça nous rappelle le Tadjikistan : "la prochaine fontaine ? Ohh, à 3KM !" Et 7 KM plus tard, on la trouve enfin. Bref, Jean et Alex reviennent avec 1,5L de Kimiz (lait de jument fermenté) après s'être fait invités à goûter les spécialités locales par le docteur de campagne de passage, un homme sympa, bedonnant et paraissant jeune pour son âge (reflet d'une vie citadine ?). Pain, kurduk (boulettes de fromage sec roulées sous les aisselles) et bien sûr kimiz maison (qu'on n'a pas trouvé terrible, genre yaourt acide qui a tourné), tout y était. Pendant ce temps là, j'observais un spectacle assez drôle, de deux jeunes ados à cheval tentant d'attraper un petit veau qui gambadait en toute liberté. On notera surtout que ces deux ados, comme beaucoup de jeunes dans les derniers pays traversés, savent monter à cheval (mais probablement pas nager, cf article précédent). L'homme s'adapte à son environnement. Ça nous bluffe quand même. Rares sont ceux qui regroupent leurs bêtes dans les champs à coups de klaxon sur une moto ou une mobylette ou une Fiat Lupo (petit souvenir, cf article sur la Grèce).
Notre dernière escale kazakhe se fera donc à Zharkent (prononcé "Jarkent"), un jour et deux nuits. Après deux grosses journées à pédaler entre 70 et 90 KM (ce qui relève enfin la moyenne !) à travers la steppe kazakhe, en partie sur l'autoroute, nous prenons un hôtel accueillant pour nous reposer. L'occasion aussi de vider les sacoches pour voir ce qu'on peut rendre à Jean qui retourne en France en avion depuis Almaty (oui, quand on peut on s'allège, on n'hésite pas ! Je réussis tout de même à lui emprunter sa chaise de camping ultralight), de faire nos lessives moyennant 1€/machine, de bricoler le vélo et de dormir dans un bon lit ("oh ouiiiii !"). La ville est une classique bourgade avec son bazaar de conteneurs, ses maisons cachées derrières de très grands portails et palissades de taules (comme au Kirghizistan, cela semble marquer la propriété privée... traumatisme du communisme?) et ses multiples boui-boui où nous (re)testons les spécialités du pays. Nous y passerons un séjour agréable mais bien rempli (nos journées « de repos » ne sont jamais si reposantes). Jean a moins de choses à faire, il part donc arpenter la ville à vélo, trouver des cartons pour le ré-emballer et organiser son taxi pour le sur-lendemain. Nous ne passons pas inaperçus dans cette ville sans attrait particulier, et nous entendons les gens murmurer « touristes » à notre passage (ou même nous poser la question : « are you tourist ? »), comme tant de fois depuis l'Iran. Nous n'avons toujours pas bien compris ce qu'évoque ce mot pour les locaux mais nous imaginons qu'il signifie « quelqu'un qui n'est pas payé pour voyager ».
10 Septembre 2018. Dernier jour direction Khorgos, la frontière est à 35KM. Apothéose ou cliché de ce voyage à vélo en Asie Centrale, on se le demande ! Cette journée regroupe un peu tout ce que nous avons vécu. Le départ matinal après un petit-déjeuner typique (porridge local, pain et œufs au plat accompagnés d'un thé), tous les types de bitume, un fort trafic su la route, des conducteurs peu précautionneux envers nous (pour ne pas dire dangereux) et leur contraire (du style "je-ralentis-je-m'éloigne-bien-et-je-mets-mon-clignotant") et, le vent assez fort... de face ! Parce qu'une sortie de pays (en Asie Centrale) sur une bonne route et sans vent, n'est pas une sortie qui se respecte. On se refait alors le film de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Kirghizistan et maintenant du Kazakhstan... Nous voilà fin prêts à vivre la fin des "stan" ! Le passage vers une nouvelle culture certainement radicalement différente après 7 pays et 4 mois passés dans la culture musulmane. Le passage d'un monde désorganisé à un monde très contrôlé (voire sur-contrôlé) et moins délabré... Tout cela avec, il faut le dire, une pointe d'inquiétude et d'excitation.
Nous laissons Jean devant la barrière de la douane Kazakhe, il reprendra la route en sens inverse pour rentrer en France.
Alors que nous passons la frontière chinoise, le compteur du vélo affiche 8999 KM...
Au fait, une belle et courte vidéo réalisée par Tristan & Belèn, rencontrés dans le Pamir. A voir absolument pour vous donner une idée des paysages parcourus ces derniers mois --> ici !
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