top of page

Sur la piste kirghize



Notre première impression colle tout à fait à ce que nous attendions de ce nouveau pays : des steppes vertes parsemées de yourtes et de troupeaux de chevaux, sous le regard bienveillant des montagnes enneigées. Quelle contraste entre l'immense vallée de l'Alay qui se dévoile devant nous et l'austère plateau du Pamir d'où nous arrivons. Nous avons troqué les tons jaunes et ocres des arides montagnes contre le vert et le blanc de cette région arrosée.

Nous descendons, direction nord, vers la route qui parcours cette vallée étirée d'Est en Ouest : d'un côté on peut se rendre en Chine, de l'autre retour au Tadjikistan. Nous avons du mal à nous réchauffer de notre réveil glacial mais le soleil nous arrose de ses rayons et la température monte un peu, nous sommes toujours proche des 3000m, la tente est gelée et l'air reste frais en cette matinée.

Nous bifurquons à l'Ouest direction Sary Moghol, à 30km de là. La cyclo suisse croisée avant la frontière nous avait prévenus : "vous risquez d'avoir le vent dans le nez". Ça ne loupe pas, on se console en se disant que pour le retour le lendemain, nous aurons le vent dans le dos (c'est beau de rêver). Nous longeons le massif frontière avec le Tadjkistan, dominé par le Pic Lénine et ses 7134m. On a comme une impression de longer la chaîne des Pyrénées, les yourtes en plus. Arrivés à destination nous sautons sur le 1er restaurant que nous trouvons et engloutissons un plov qui nous requinque. Nous nous rendons au « CBT » (Community Based Tourism), organisme national servant à la fois d'office du tourisme et de tour opérateur local. Ils peuvent nous emmener au camp de base du Lénine le lendemain et ils nous orientent vers leur guesthouse, ça fera bien l'affaire. Après une douche désastreuse (qui se résume à un filet d'eau, chaude ceci dit), nous y passons une très bonne soirée au cours de laquelle nous faisons connaissance avec Pablo et sa femme, sympathiques espagnols de Oviedo ainsi que Steve et Jody, tous deux anglais et instituteurs mais sans liens entre eux. Nous sommes dans un pays touristique et en ce mois d'août de nombreux européens viennent s'y adonner au trekking, à la randonnée à cheval ou à vélo, nous savons donc que nous allons rencontrer beaucoup plus de touristes que ces derniers mois.


Petite excursion en 4x4 direction le camp de base du Lénine (et oui, nous nous permettons certaines largesses), nous nous approchons le plus possible à pieds mais nous n'avons qu'une demi-journée et après un pique-nique avec vue sur les glaciers et l'imposant maître des lieux, nous rebroussons chemin pour retourner à la guesthouse et récupérer Georges et Bob. Nous avons décidé de nous rapprocher de Sary Tash en fin de journée, afin d'être de nouveau sur la « bonne » route dès le lendemain matin (notre excursion nous ayant donc fait faire un détour). Après un bon goûter bien français : pain et chocolat, nous repartons... avec un vent de face encore plus fort que la veille. Clarisse est dépitée, c'était pas dans le contrat ! Le ciel s'est bien chargé sur les montagnes et ça sent la pluie. Nous nous arrêtons après 20km, épuisés par le vent et inquiétés par la pluie. Un troupeau de yaks est installé sur le lieu que nous choisissons, étant tout aussi craintifs que nos vaches, ils s'éloignent à notre arrivée (c'est quand même fou d'être aussi imposant et aussi flippé!).

Deux beaux cols nous séparent de Osh, deuxième ville du Kirghizistan. Le premier, Taldyk Pass nous attend tout de suite après Sary Tash. Alors que nous passons dans le village nous apercevons des cyclistes qui se préparent devant une guesthouse : c'est Mario en compagnie de deux couples de suisses avec qui il a terminé le Pamir. Ils nous rattraperont en arrivant en haut du col, à 3300m. La route qui redescend en lacets est impressionnante ! Il y a assez peu de circulation et l'asphalte est excellente, cette route est vraiment plaisante. Nous retrouvons avec joie Mario et sa flûte en bien meilleure forme qu'à Murghab et faisons donc connaissance avec Greg et Marie, suisses francophones et, Sebastian et Andrea, suisses germanophones. C'est donc en véritable peloton que nous continuons notre route vers Osh tous ensemble. C'est parti pour quasiment 90km de descente jusqu'à Gulcha. Quel plaisir de filer à toute allure sur une vraie route ! Le paysage est magnifique, les roches rouges des falaises succèdent aux forêts d'épineux à flanc de montagne. Nous descendons en altitude et la température remonte.

Nous nous trouvons un beau coin de bivouac en bord de rivière où il y a la place pour tout le monde. Coïncidence, cette première soirée en compagnie de nos amis helvètes tombe le jour de leur fête nationale, la tradition veut qu'ils fassent un feu : ce sera notre premier feu de camp en 5 mois ! Nous dormons à une altitude proche des 2000m pour la première fois depuis Khorog.

Nous continuons notre agréable descente vers Gulcha après quoi le 2e col nous attend. A l'entrée de la ville nous faisons connaissance avec l'excès de consommation de vodka, fait usuel dans le pays. C'est déjà pas facile de parler avec un kirghize mais alors avec un kirghize saoul, c'est carrément pénible, on s'éclipse. La montée est rude, nous devons de nouveau retourner à quasi 3000m. On se jette sur le bas-côté pour casser la croûte, laissant nos compères nous semer. Les vaches sont en liberté et certaines sont plantées au milieu de la route, les conducteurs locaux les klaxonnent, zigzaguent mais ne prennent même pas la peine de ralentir. Juste arrivés au col nous apercevons nos amis un peu plus bas, la descente est notre alliée et nous les rattrapons très vite, ils ne s'attendaient pas nous voir les doubler en trombe. S'ensuit 60km de descente jusqu'à Osh. Le peloton suisse n'arrive pas à s'accrocher à l'aspiration de notre roue, nous allons trop vite (au moins un terrain avantageux pour le tandem). Nous nous rapprochons de l'agglomération la densité de population augmente et le trafic avec elle. Nous sommes désormais dans la fertile vallée du Ferghana, partagée entre Ouzbékistan et Kirghizistan. Osh, notre première grande ville depuis Dushanbé ! Il faut reprendre les réflexes de la conduite en ville, surtout quand les citadins locaux n'ont pas l'air particulièrement attentionnés envers les vélos : on nous klaxonne, nous colle, limite nous insulte... (c'est quasi toujours LE connard dans son gros 4x4 neuf qui s'énerve contre nous; sentiment d'impunité lié à son véhicule ?). Nous trouvons chacun une guesthouse à notre goût, de notre côté nous atterrissons dans une maison convertie en guesthouse où la patronne sexagénaire antipathique ne parle que russe mais le lieu est calme et propre, en plein centre et bon marché alors nous ne cherchons pas plus loin. On hérite du salon qui fait office de chambre double.


Nous retrouvons Laura et Benoît qui sont là depuis quelques jours déjà. Ils nous intronisent au Brio, le plus européen des cafés de la ville. Agréable lieu, pile dans les standards que nous aimons et qui nous manquent. En plus, ils font de vrais expresso ! Ce sera notre QG et notre rendez-vous quotidien pour le petit déjeuner (voire le déjeuner... voire même le dîner) durant notre séjour dans la ville (en plus c'est à deux pas de notre guesthouse, le pied !).

Nous avons prévu quelques jours de repos pour nous remettre du Pamir mais aussi car c'est l'anniversaire de Clarisse. Ce sera donc une semaine d'anniversaire où le mot d'ordre est de se faire plaisir et de « se refaire la cerise » avec de la bonne bouffe. Nous célébrons l'événement avec nos amis suisses, un trio d'allemands croisés en quittant Sary Moghol et recroisés au Brio, et avec Laura, Benoît et Mario bien sûr.

Manque de bol Clarisse tombe malade le lendemain de son anniversaire. Etat grippal : courbature, fièvre, fatigue. On finit par faire un tour à l'hôpital de la ville où une infirmière lui fait une injection intra-musculaire d'on-ne-sait-quelle-substance (elle nous a expliqué... en russe!) pour faire tomber la fièvre. Cela aura au moins le mérite de la faire transpirer et dormir tout l'après-midi après quoi elle s'est sent déjà mieux. Nous passons ainsi 5 jours entre le Brio, la guesthouse et divers restaurants, activité minimum au programme car nous sommes vraiment fatigués. Nous irons tout de même faire un tour au bazar de la ville et rechercher en vain un réparateur d'appareil photo car le notre a subitement décidé de ne plus s'allumer (après une belle chute, sniffff). Laura et Benoît repartent. Puis vient notre tour de reprendre la route laissant Mario seul pour son petit-dej quotidien au Brio, il a encore besoin de repos lui.

Nous avons choisi de ne pas prendre la route principale Osh-Bichkek car trop fréquentée. Nous la suivrons jusque Jalal-Abad puis nous partirons vers Kazarman. Nous savons que nous allons nous confronter à de la piste, pas toujours très agréables mais nous préférons ça au trafic du grand axe malgré son attirante asphalte made in China. Les kirghizes conduisent vraiment très mal, de plus une grande partie des véhicules ont le volant à droite : ce qui n'arrange rien... Nous n'avions pas vu ce mix de véhicules avec volant à gauche ou volant à droite depuis la Géorgie et l'Arménie. Autre point, les véhicules ici puent (comme au Tadjikistan ou en Ouzbékistan), on se rend bien compte que chez nous il y a des normes anti-pollution et que ça nous manque, surtout quand un camion nous double en pleine côte dans un nuage noir d'échappement.


La route longe la frontière avec l'Ouzbékistan, nous sommes encore dans la vallée de Ferghana et nous retrouvons les murailles de pastèques qui nous avaient accompagnés sur la route de Samarcande, elles sont désormais accompagnées de montagnes de courges butternut, cette vallée est un vrai eldorado des fruits et légumes.

Nous renouons avec le bivouac au bord d'un « réservoir » (lac artificiel) à la frontière avec l'Ouzbékistan, ce qui me permet une baignade rafraîchissante avec des jeunes du coin. Dans cette région la plupart des habitants sont ouzbèkes et non kirghizes, les frontières ont été dessinées totalement arbitrairement à l'époque soviétique. Je comprends rapidement que malgré leur vingtaine d'années, ils ne savent pas nager. Ils se sont donc fabriqué une bouée avec six bouteilles de plastique accrochées par leur goulot à une cordelette qui mettent contre leur abdomen, les bouteilles de part et d'autre comme flotteurs, ingénieux. Je passe un moment en leur compagnie pendant que Clarisse, toujours assez fatiguée, somnole sous un arbre.

Nous rejoignons Jalal-Abad après un petit col à la végétation bien pelée et une belle descente, on voit très nettement la démarcation entre le fond de vallée irrigué et vert et les collines roussies par le soleil. Nous tombons à 700m d'altitude, nous retrouvons la chaleur qui ne nous avait pas vraiment manqués. Après avoir essayé un excellent plat local nommé laghman (grosses nouilles dans une sorte de sauce épicés et accompagnées de légumes), nous quittons la ville par une route à l'asphalte flambant neuve encadré de trottoirs (!), ça fait bien longtemps que nous n'en avions pas vu et nous ne comprenons pas vraiment leur utilité le long de cette route. Le combo : voitures passant vite et très près + bruit ambiant du bitume de mauvaise qualité + infernaux coups de klaxons des véhicules voulant nous saluer... nous a définitivement convaincus de passer par les routes moins fréquentées.

Nous remontons cette vallée agricole jusqu'à ce que l'asphalte ne laisse place aux graviers et les champs cultivés aux pâturages d'altitude. Nous croisons de nombreux touristes à moto, le Kirghizistan est une destination de choix pour les amateurs de routes spectaculaires qu'ils soient motorisés ou non. La route commence à grimper en longeant une gorge plus ou moins profonde, nous y croisons peu de véhicules mais des chevaux en liberté et des yourtes disséminées dans la montagne pour leurs quartiers d'été. Nous arrivons au pied du col de Kaldamo (2970m) dont nous apercevons déjà le sommet...20km et 1200m plus haut... Nous observons la route serpenter en lacets, ça va être long !

Au tiers de la montée Mario nous rattrape comme nous l'avions prévu, il aura mis trois jours depuis Osh contre quatre pour nous. Nous poursuivons donc notre pénible ascension avec lui. La pente est assez raide et la distance nous épuise, les jambes tirent, nous mettrons 5h à atteindre le sommet. Quel soulagement lorsque nous y arrivons, la vue sur la vallée et la route que nous venons de gravir est à couper le souffle. Clarisse a tout donné et je suis vraiment fière d'elle. Il y a un vent à décorner les bœufs (bien qu'il n'y ait que quelques chevaux) mais à bout d'énergie nous nous préparons tout de même une ration de pâtes bien méritées entre les rafales de poussière, clairement pas l'endroit idéal pour un pique-nique mais à ce stade, on s'en fout !



La descente va être tout aussi longue et impressionnante que la montée mais la chaussée étant d'assez bonne qualité elle sera agréable. Nous y croisons nos premiers Néo-Zélandais à vélo qui se dirigent... vers la France ! Nous nous arrêtons au pied de la descente, à 2000m soit quasiment aussi bas que là d'où nous sommes partis. Nous installons nos tentes au bord de la rivière et à proximité de yourtes, de toute façon impossible de s'en éloigner vu qu'il y en a dans les moindres recoins des vallées. Nous aurons rapidement la visite d'enfants curieux mais sympathiques et ils nous ramènent un bol d'une boisson à mi-chemin entre lait et crème, nous partageons un peu de notre plat du soir avec eux en échange. Ils s'installent et resteront à observer nos moindres faits et gestes jusqu'à ce qu'on leur fasse comprendre qu'on va se coucher.


Ces derniers jours nous ne dormons qu'avec la toile intérieure de la tente du fait de la chaleur mais ce soir là, au moment de s'endormir, Clarisse aperçoit des flashs : un orage est en cours pas bien loin ! Branle-bas de combat, on re-démonte la tente pour installer la toile imperméable en prévision de l'averse qui ne manquera pas durant la nuit. Au matin, juste le temps de déjeuner et de ranger qu'il pleut de nouveau, heureusement nous n'avions pas démonté l'extérieur de la tente et nous nous réfugions dessous avec Mario. Nous sommes le 12 août (la sainte Clarisse !) et c'est notre première "vraie" pluie depuis le 15 mai ! Nous avons perdu nos réflexes avec ces 3 mois de beau temps. Nous levons le camp mais l'accalmie et de courte durée et nous prenons une belle douche, la piste devient un peu boueuse, les 50km restant jusque Kazarman vont être plus difficiles que prévu.

Finalement la pluie cesse et nous rencontrons un couple franco-américain en tandem Pino (avec place avant assise), ils sont partis de NZ et nous discutons longuement route et équipement, jusqu'à ce que la pluie ne recommence, cette fois pour de bon ! Ils nous ont dit qu'il y a une agréable guesthouse à Kazarman, l'idée de la douche chaude nous motive à braver la pluie froide. La piste se dégrade et nous redécouvrons la taule ondulée pour notre plus grand bonheur (ou pas). Au premier village traversé nous nous réfugions sous une station-service (avec les mini-épiceries ou « magazine » ce sont les seuls commerces constants). Un vieux kirghize alcoolisé vient nous tailler la causette, pas facile mais plutôt comique. Des locaux venant faire le plein de leurs véhicules défoncés nous regardent comme des extra-terrestres, ils ne doivent pas voir beaucoup d'étrangers (en même temps, avec sa charlotte jaune fluo Mario a un sacré style). On se change car nous sommes gelés, on ingurgite un pain chacun (la station-service vend aussi du pain, logique) et on repart pour encore 15km de piste détrempée et ondulée avec de jolies côtes surprises. La région possède de nombreuses mines et en général les routes y menant sont bonnes : nous tombons sur un magnifique tarmac récent pour nos derniers kilomètres, quelle sensation agréable que de rouler sans vibrations, on croirait voler !

Nous trouvons la guesthouse et son joli jardin et sautons sous la douche, qui s’avérera la plus luxueuse que nous n'ayons vu depuis longtemps. Le temps s'éclaircit ce qui nous permet d'explorer cette ville assez grande mais sérieusement isolée. L'hiver la route que nous avons empruntée est fermée et les températures tombent à -30°, les habitants survivent probablement avec l'aide des bouteilles de vodka peuplant les étales de tous les magasins du pays. Nous trouvons un supermarché plutôt bien fourni ce qui nous permet de refaire le plein pour les jours suivants et un restaurant bien local. Rassasiés et réchauffés, l'épisode pluvieux matinal n'est plus qu'un lointain souvenir.

Nous avions prévu initialement d'aller au lac Song Kul, must-see du pays. Mais la route y menant, le dénivelé nous attendant et certains retours nous disant que "c'est beau mais sans plus" nous ont fait changer d'avis, de toute façon on ne peut pas tout voir. Nous prendrons donc la route sud direction Baetov puis un col assez peu emprunté nous ramenant à la route Naryn-Torugart, poste frontière avec la Chine. Nous retrouverons ainsi notre asphalte tant chérie. Mais avant ça nous avons deux cols à 3000m à passer. Mario nous suit dans notre idée. La route pour le premier col est bonne car il y a là encore une mine d'or. Sur la route un jeune ouzbèke travaillant dans le bâtiment s'arrête pour nous parler, il expliquera que ce sont des kirghizes qui y travaillent mais que les profits reviennent aux chinois, tellement prévisible.

La montée finale du col s'avère raide et difficile, Clarisse a un gros coup de mou tant physique que psychologique, elle ne s'est pas vraiment bien reposée à Osh du fait de sa fièvre et accuse le coup dans cette partie éprouvante du périple. Cependant la vue du sommet sur les montagnes rouges découpées par l'érosion nous récompense, au sud une grande chaîne de montagne avec ses sommets enneigés s'étire devant nos yeux.

Nous voilà partis pour redescendre à 1800m : nous avalons bien plus de dénivelé qu'au Pamir. Superbe vallée assez aride bordée de part et d'autre de collines de terre jaune ou ocre et ciselées par les eaux. On retombe dans une ambiance « route de la soie ». Nous découvrons les cimetières kirghizes et leurs jolies tombes en torchis ressemblant à des mausolées. Ils sont à l'écart des villages et souvent un peu en hauteur. La piste est désormais absolument infecte, la taule ondulée la couvre sur toute sa largeur quand il n'y a pas de profonds tas de graviers. Heureusement on est plutôt en descente ce qui nous permet de conserver une allure correcte, mais nous avons mal partout : bras, dos, cou, fesses... A l'entrée de Kosh-Dobo des enfants se sont fabriqués une piscine naturelle dans le lit de la rivière. On gare nos vélos devant une épicerie, un homme y « gare » son cheval, moyen de transport très utilisé dans le pays. On fait une pause à grignoter des cochonneries chocolatées et sucrées et, on fait un point "connecté" sur ce qui se passe ailleurs qu'ici. Facile, y'a du réseau mobile dans tous les villages. S'il y a peu de choses, il y a au moins ça. Mario en profite pour prendre soin de ses "fans" Instagram.


Le ciel se charge au dessus des montagnes, ça sent l'orage et nous nous arrêtons donc dans un champ en bord de piste, malgré quelques camions se rendant à la mine dans un impressionnant nuage de poussière et un vacarme tonitruant, peu de véhicules empruntent cette route.


Et c'est reparti pour une belle journée sur les pistes kirghizes ! Encore 60km avant Baetov, on n'en voit pas la fin. Mario passe les 10000km ce matin là, on fêtera ça au prochain bled. Les derniers kilomètres en faux plat montant sont un véritable chemin de croix : on se traîne à 6km/h tant la piste est mauvaise, le village semble être un mirage qui ne se rapproche jamais. Puis tout d'un coup notre pénitence s'arrête et nous glissons sans bruit sur un bitume bien lisse, c'est comme arriver sur une piste fraîchement damée après une pente bien trafollée. Seule ma pédale qui claque à chaque tour gâche un peu la fête...

Nous trouvons une épicerie pour satisfaire nos envies et nous nous installons au bord de la rue pour déguster de merveilleux sandwichs chips/ketchup maison accompagnée de bière et de coca, trinquant à la performance de notre compère. Ces derniers temps les difficultés nous font acheter tout ce que nous évitons habituellement par conviction: chips, barres chocolatés trop sucrées, soda, mais qu'est-ce que ça fait du bien au moral ! Comme nous a dit Claire A. cofondatrice des Hirondelles avec Clarisse : « c'est le compromis de la survie ! ».

Nous croisons quelques personnes fortement alcoolisées et d'autres venant s'acheter de belles bouteilles de vodka dans l'épicerie... on imagine qu'un profond ennui doit régner dans ces recoins peu fréquentés du pays.

On quitte la localité de Karadjar-Kurulush et l'asphalte en même temps... on rempile donc pour une après-midi de poussière, vibrations et côtes trop raides (le programme kirghize quoi !) mais la rédemption de la journée de repos est proche. Nous avons décidé de nous arrêter une journée à Baetov, non pas pour l'(in)intérêt touristique de cette petite bourgade aux bâtiments soviétiques défraîchis mais parce que nous avons un joli col à 3300m à passer ensuite et que nous sommes cuits. Nous nous arrêtons au bord d'un ruisseau 10km avant la ville dans une zone étonnamment verte au milieu des collines asséchées. Mario, lui, file vers la ville à la recherche d'un vrai lit dans une guesthouse, mais nous aimons nos soirées sous la tente et nous n'irons donc que le lendemain (accessoirement ça nous permet d'économiser car nous n'avons plus trop de monnaie locale et il n'y a pas de distributeurs partout).

On retrouve avec plaisir le même bitume bien lisse à l'entrée de la ville que dans le village précédent et nous nous trouvons une guesthouse flambant neuve, on n'a plus l'impression d'être en AirBNB : nous avons la maison pour nous et pouvons même cuisiner, génial. Nous retrouverons Mario pour le déjeuner et nous rendons au bazar pour faire le plein. Les épiceries se succèdent et se ressemblent sans pour autant avoir les mêmes produits : on devra les faire une par une avant de trouver des œufs. Vu que nous avons la maison pour nous, nous en profitons pour cuisiner : c'est qui qui va se régaler avec une bonne purée au beurre ? Dans l'après-midi un couple de cyclos débarquent, nous passons la soirée avec eux et Mario. En début de nuit un énorme orage éclate sur la montagne que nous devons franchir le lendemain, les éclairs sont impressionnants, puis des trombes d'eau s'abattent sur la ville... qu'on est bien à l'intérieur ! Les orages semblent vraiment fréquents par ici.


Nous partons direction le col avec les cyclos arrivés la veille. Nous remontons une vallée assez aride avant d'attaquer les véritables hostilités : 1200m de dénivelé sur piste avec de nombreux passages à plus de 10%. Le jour de repos été vraiment indispensable avant de se lancer à l'assaut de ce col. C'est très dur mais nous prenons vite de la hauteur à chaque lacet de la piste et le paysage nous récompense de nos efforts. Arrivés en haut nous dominons non seulement la vallée que nous avons remontée le matin, mais aussi une autre fendue d'un grand canyon. Les couleurs sont magiques entre le vert clair des pâturages et le rouge des montagnes. Le temps que nous fassions notre pause déjeuner et il commence à tonner sur les montagnes alentours : ça sent l'orage ! Nous espérons ne pas prendre le même tarif que ce que nous avons pu apercevoir la veille. Nous repartons car nous avons encore 300m de dénivelé à gravir. Il se met à pleuvoir mais, malgré des coups de tonnerre très proches, le gros de l'orage nous passe à côté puis le soleil revient généreusement nous réchauffer. Nous en profitons pour changer notre chambre à air qui a une crevaison lente depuis Khorog, mais qui désormais se dégonfle à vue d’œil. Nous dominons un beau plateau d'altitude où paissent des troupeaux de brebis et chèvres, au loin nous pouvons admirer quelques glaciers sur les plus hautes montagnes. On reprend notre grimpette et en finissons enfin avec ce col, en haut une structure en béton toute soviétique indique "MELS" comme nom pour le col, nous apprendrons que ce sigle signifie Marx, Engel, Lénine, Staline. Comme tout point de vue ou col qui se respecte au Kirghizistan on y trouve une montagne de cadavres de bouteilles de vodka.

La pluie nous rattrape de nouveau, nous descendons 500m de dénivelé en slalomant entre les zones trop boueuses de la piste et passant quelques yourtes éparses. Puis nous nous arrêtons dans une steppe entourée de collines vertes où sont éparpillés vaches, chevaux et autres animaux d'élevage. Magnifique bivouac avec Mario et nos colocs de la nuit précédente, à quasi 3000m, nous sommes éreintés par cette épique journée et les 1500m gravis (notre record depuis le début du voyage !) mais heureux d'avoir pris cette superbe piste. Au petit matin le soleil brille et nous réchauffe le temps du petit-déjeuner mais malheureusement le temps se couvre dès notre remontée en selle.


Nous devons de nouveau remonter à 3400m en remontant la vallée. Nous sommes dans un coin assez peu peuplé, nous croisons seulement un berger à cheval, quelques maisons et yourtes... nous seront tout de même doublés par deux gros camions remplis de charbon. Avant le col la pluie s'invite et le tonnerre gronde mais nous poursuivons et naviguons entre les ondées. Au sommet la neige remplace la pluie, nous enfilons nos habits imperméables en urgence avant de nous lancer dans la longue descente jusqu'à la route. Nous avalons les kilomètres, le coin doit être magnifique avec le beau temps mais là c'est malheureusement un peu sinistre. Quelques kilomètres avant l'intersection avec la route, la piste devient boueuse, on commence à avoir quelques problèmes d'adhérence et Bob chasse de droite à gauche. Nous n'éviterons pas la chute dans la boue, heureusement à petite vitesse et donc sans casse si ce n'est l'attache d'une sacoche arrière. Plus de peur que de mal. Nous choisissons de poursuivre à travers champs car la piste est vraiment impraticable. On retrouve Mario au bord du bitume et nous voilà tous les trois à nettoyer un minimum nos vélos embourbés. Le soleil fait une brève apparition et ajoute un peu de bonne humeur à nos retrouvailles avec la route lisse, youpi nous filons à 30km/h sur quelques kilomètres ! Oui mais ça, c'était sans compter l'orage qui est toujours proche et le vent qui se lève : il pleut à l'horizontale et le temps devient vraiment tempétueux. Nous repérons une bicoque proche de la route, seule bâtisse avant des kilomètres, et nous nous y réfugions pour laisser passer le grain. Un jeune berger à cheval fait de même. Nous sommes gelés et affamés, nous profitons de l'abri pour faire un thé et des pâtes que nous partageons avec notre compagnon. Comme de nombreux jeunes étudiants kirghizes, durant les vacances d'été il aide sa famille avec leurs troupeaux.

Comme nous commençons à avoir l'habitude dans ce pays, le ciel se dégage et l'orage laisse place à un large soleil, nous en profitons largement pour sécher nos affaires avant de reprendre la route. Il fait désormais grand beau ! Impossible d'imaginer le temps que nous avions quelques heures auparavant. L'excellent tarmac de la route qui se rend vers la frontière chinoise nous permet d'avaler 40km en moins de deux heures, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps. La vallée est large et superbe avec l'impressionnante chaîne de At-Bashi au sud et le soleil de fin de journée en magnifie les couleurs. Nous campons au beau milieu d'un champ fauché à côté de Kara Suu, au beau milieu de la vallée.

Nous suivons la route jusque Naryn. Nous y croisons Jin, un cyclo coréen qui a laissé une partie de ses affaires à Bichkek afin de faire le Kirghizistan en mode "light" (pas une mauvaise idée !). Puis nous devons passer un petit col avant de redescendre sur la ville, fichée au milieu d'un canyon aride. Nous sommes bien content d'arriver et nous allons nous faire une nouvelle journée de repos bien mérité, les derniers kilomètres avant le col ont été difficiles pour nos jambes fatiguées.

Naryn est un des centres névralgiques du tourisme de montagne au Kirghizistan, il y a donc de nombreux touristes, ça nous change. Nous trouvons via le CBT une guesthouse parfaite : nous avons un appartement pour nous trois, c'est un peu comme une coloc avec Mario pour notre jour de repos ! Programme habituel des jours de pause : lessive, maintenance du vélo, rédaction du blog, courses... et bonne bouffe. Pour le petit-déjeuner nous avons droit à une excellente confiture de framboise maison dont les énormes bocaux remplissent le frigo, notre hôte sera d'accord pour nous en vendre une pleine bouteille, miam !

Nos derniers jours de vélo avec Mario arrivent. Nous partons ensemble direction Eki-Naryn à l'Est mais ensuite il a prévu de rejoindre le lac Issik Kul par le col de Tosor, qui s'annonce un peu trop difficile en tandem, nous allons quant à nous repartir vers l'Ouest pour retrouver la route Naryn-Kochkor et la suivre jusqu'au lac. L'asphalte nous accompagne au départ mais elle laissera trop rapidement place à une belle taule ondulée comme on les aime, heureusement la route traverses de nombreux village et nous avons à chaque fois droit à une portion de bonne route.

A la mi-journée nous sommes à Eki-Naryn et nous pique-niquons au-dessus d'un beau canyon où deux rivières fusionnent leurs eaux de couleurs différentes. Dans le village nous nous arrêtons au classique "magazine" pour quelques sucreries, une voiture s'arrête, un enfant de 4 ans vient nous serrer la main en disant "Hello" alors que sa mère ressort du magasin avec deux bouteilles de vodka. Scène de vie assez habituelle dans le pays. A notre tour de passer un cap du voyage en compagnie de Mario : nos 8000km ! Ça vaut bien une photo originale. Le paysage de collines arides changent drastiquement et nous voilà à remonter une gorge encaissée et arborée de part et d'autre par des conifères. Panorama très alpin. Avant l'orage quotidien nous montons nos tentes dans une champ en contre-bas d'une yourte mais la pluie nous empêchera tout de même de profiter pleinement de cette dernière soirée avec Mario.

Le paysage sera encore différent pour la suite de la route. Une fois quittée la gorge, nous retrouvons une grande vallée entourée de petites montagnes à l'herbe rase. Quelques fermes et un village la peuple. Le coin est très beau (pour changer). Dans l'après-midi nous arrivons finalement à l'intersection où nos chemins se séparent. Nous nous donnons tout de même un dernier rendez-vous dans quelques jours. Nous devrions nous croiser dans une vallée jouxtant le lac Issik Kul, une fois que mon père nous aura rejoint. Pour cette fin de journée nous atteignons un immense plateau tout à fait stéréotype des images du pays. A 3000m d'altitude il s'étire sur bien 25km et est peuplé de yourtes et de troupeaux, principalement de chevaux : il y en a des centaines en liberté. C'est grandiose. Nous avançons un peu et plantons la tente à l'écart de la route. Pour une fois l'orage ne menace pas et nous profitons d'une belle soirée. La nuit tombé, le bruit des groupes de chevaux courant à proximité de la tente nous impressionne et nous espérons qu'ils évitent bien la tente. Je demande à Clarisse "Tu crois que ça voit bien un cheval ans la nuit ?". Un berger vient nous saluer pendant notre petit déjeuner, nous lui offrons un café et un peu de porridge (qui n'a pas l'air de lui avoir plu), il repart en nous sommant de rapidement faire des enfants, question de survie en pays kirghize.


Il nous reste 3 jours avant le rendez-vous fixé avec mon père, au bord du lac. Nous devrions y être sans soucis. Nous reprenons notre traversée de ce beau plateau, quelque peu gâché par la ligne électrique le parcourant sur toute sa longueur. Nous voyons un cyclo arriver au loin, c'est Floris que nous avions rencontré dans un hôtel de Rasht en Iran ! Nous le savions pas loin mais c'est quand même drôle de se croiser au milieu de nulle part. Lui aussi est en route pour le col de Tosor. Notre route est plus simple mais nous devons tout de même passer un dernier col à 3340m, "c'est le dernier", promets-je à Clarisse. Elle n'est pas très en forme (le retour du fardeau mensuel des filles ^^) et la montée sera difficile mais nous prenons notre temps et nous arrivons au sommet pour la pause dej. Nous pouvons contempler les sommets enneigés environnants et la vallée qui s'ouvre devant nous et que nous allons traverser.

La descente est agréable jusqu'à ce qu'une attache de sacoche casse de nouveau, puis que nous retrouvions l'impitoyable taule ondulée des pistes trop fréquentées. Il nous reste plus de 50km jusqu'à la route, ça va être très long. Un village bien placé nous permettra de faire le plein de cookies pour nous remonter le moral, et de pain pour accompagner notre délicieuse confiture (et aussi le pot de Nut Story, pâte à tartiner locale que nous adorons mais chuuuut !).


Bivouac au ras d'une rivière bruyante comme tout. "On pourrait nous voler le vélo sans qu'on entende rien" s'inquiète Clarisse. Tout se passera bien et nous passons une belle soirée avec douche nature et petit feu de camp, le premier que je lance moi-même.

Après encore une vingtaine de kilomètres fort désagréables, nous retrouvons la route tant attendue. Elle descend jusqu'à Kochkor, nous lâchons les freins et arrivons dans ce hub touristique plus rapidement que nous l'imaginions. Juste avant la ville nous croisons de nouveau un cycliste venant de l'est : Koya est japonais et il se rend en Europe, il nous donnera quelques tuyaux sur le Japon à vélo. C'est vraiment sympa de croiser des cyclos qui font un périple aussi long que nous mais en sens inverse.

Kochkor est une bourgade moche, qui grouille de partout et où nous ne trouvons pas les gens vraiment agréables. Est-ce parce que nous avons plus l'habitude de la foule ou parce que tout les touristes passent par ici ce qui biaise les rapports avec les locaux ? Mario la décrira plus tard comme un "zoo de touristes horrible", pour notre plus grande hilarité. Nous rencontrons en tout cas un jeune français sympathique qui est allé de Marseille à Istanbul en vélo avant de le vendre et de s'envoler pour le Kirghizistan pour finir ses vacances scolaires. Nous passerons deux heures à discuter avec lui avant de reprendre la route direction Ottuk, sur la rive du lac.

Nous voyons nos premiers chameaux du voyages ! Ils ne sont pas farouches et se laissent approcher sans inquiétude. Je les photographie pendant que Clarisse m'attend sur le bord de la route et tombe sur des français. "C'est dommage" me dit-elle en m'expliquant que l'échange avec la dame, quinquagénaire, ressemblait juste à une complainte du manque de confort dans "ces pays" et du difficile trek qu'elle vient de terminer. Ces français qui se plaignent tout le temps ! C'est trop dur les vacances...

Plus que quelques kilomètres, le lac est en vue. Mon père est quand à lui bien arrivé à Almaty et en route pour Bichkek, nous sommes tous dans les temps, parfait ! Nous pensions trouver un camping à Ottuk d'après notre carte mais ce n'est au final qu'un grand espace arboré en bord de lac sans aucune infrastructure si ce n'est des cabanes servant de toilettes. Les locaux y viennent à la plage ou faire des pique-niques. A notre arrivée il n'y a absolument personne, c'est plutôt pas mal comme lieu de pause pour nous remettre de nos 15 000m de dénivelé cumulés des dernières semaines !

Après une belle étape de 115km, la tente est plantée. Nous n'avons désormais plus qu'à attendre l'arrivée du père noël (il nous ramène pas mal de choses dans ses bagages) prévue pour le lendemain après-midi en admirant cet immense lac entouré de montagnes.

Toutes les photos ici


s

Comments


bottom of page